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d’Hélène Comnène, grille sur la terrasse de Gradeniga ou dans le jardin de Françoise de Rimini, tenture dans l’atelier du sculpteur Settala. Le public de théâtre, qui était venu pour « voir » un spectacle, est demeuré décontenancé.

En effet, à la première représentation de la Gioconde, une partie de la salle n’a pas tout de suite compris ce qui venait de se passer. Si l’on fut renseigné vite par les conversations, par les discussions sur les intentions de l’auteur, ce fut en vain que l’on chercha à se représenter matériellement, même sur l’écran de l’imagination, ce qui était arrivé de l’autre côté du rideau. Si la statue est une vraie statue et non un symbole, quand elle tombe du piédestal, elle doit tuer Sylvia ; en tous cas, rien ne peut l’empêcher de se briser elle-même en morceaux. Si les mains de la jeune femme sont prisée sous le bloc au point d’en être écrasées, on ne comprend pas comment, par ses seules forces, la malheureuse Sylvia pourrait s’arracher de ce piège. Il y a impossibilité physique à ce que les choses se passent comme M. d’Annunzio les raconte. Le spectateur le sent, et, comme rien ne l’a averti qu’il s’agit d’un symbole, et qu’il n’est pas venu au théâtre pour voir un symbole, — toujours invisible, — mais des acteurs qui « jouent » une pièce, il reste mal à son aise. L’effet ne porte point. Ce qui bouleverse à la lecture, où une indication suffit à avertir le lecteur, et où toute fantaisie, toute illusion, sont acceptées si l’auteur a le génie d’imposer sa volonté, laisse, à la scène, le public indécis et déçu.

La lecture du théâtre de M. d’Annunzio contient à chaque page l’aveu de l’impuissance où est un poète lyrique, — non point celui-ci ou celui-là, mais tout homme qui suit un rêve au lieu de développer une action, — de représenter sa pensée par des accessoires de décors, des costumes et des mouvemens. Tout ce qui est imprimé en petit texte dans les pièces publiées par M. d’Annunzio sous couleur d’« indications scéniques » est, proprement, — qu’on nous passe le mot, — le déchet lyrique de son rêve, et il arrive que ce « précipité » contienne, trop souvent, ce qu’il y avait de plus rare, de plus exquis, de plus scéniquement intraduisible, dans les intentions du poète Mais pour que ces nuances pussent être saisies, il faudrait que M. d’Annunzio ne se contentât point d’animer de sa personne et de sa pensée propre chaque protagoniste de ses pièces, il faudrait encore qu’il s’incarnât dans chaque spectateur, de telle façon que l’indicible