Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/680

Cette page a été validée par deux contributeurs.

demment que Françoise se sent envahie par le feu de l’amour. Il ne l’enveloppe plus ainsi qu’une haleine parfumée, un zéphyr de fleur, comme au temps où elle circulait, jeune fille heureuse, dans les jardins de ses parens. Elle le porte maintenant « dans ses veines ; » elle devient « folle de lui. » Elle en est « atteinte dans ses moelles ; » elle est prête à laisser « brûler ses yeux, » pour jouir un instant « de la splendeur » de ce qui la tuera. Il est si évident que la pièce devait être cherchée, en action et en vérité, du côté des tendresses de Paolo et de Françoise, et non du côté des beautés exactes de la mise en scène et de la vérité archéologique, que la tragédie, languissante jusque-là, prend feu, elle aussi, dès que l’action se développe sur son terrain véritable, dès que l’amour de Françoise fait connaissance avec l’amour de Paolo, dès que l’occasion leur est enfin donnée d’évoquer le passé, de jouir et de souffrir du présent, de rêver leurs espérances, d’en mourir.

Si M. d’Annunzio avait besoin d’une preuve définitive pour se persuader qu’il faut laisser les symboles dans le rêve, et ne produire, dans la réalité crue du théâtre, que des personnages rapetisses à la taille, très humaine, de l’homme et de la femme tels qu’on les rencontre dans la vie, il n’aurait qu’à réfléchir sur les causes qui ont empêché que le troisième acte de sa Françoise produisît l’effet qu’il en espérait. Ce n’est pas évidemment dans le dessein de faire avancer, sur le fond du drame, comme un personnage de premier plan, le borgne Malatestino, frère de Paolo et de Gianciotto, que M. d’Annunzio a écrit sa Françoise de Rimini. C’est, au contraire, pour la joie de mettre en scène l’épisode dantesque :


Quel giorno più non vi leggemmo avante


Cependant les intentions de l’auteur sont trahies par l’exécution. La figure la plus solide de la tragédie, la seule qui vive vraiment d’une vie propre, est tout justement celle de ce comparse, de ce borgne Malatestino, qui n’est qu’un rustre et un jaloux affreux, mais que M. d’Annunzio a peint tout en mouvemens et en actes. Et pourtant, si, parmi les poètes contemporains, quelqu’un pouvait espérer ajouter une beauté lyrique à la beauté de la scène dantesque, c’était bien M. d’Annunzio. Il y a déployé toutes les richesses de sa séduction. Il l’a conduite avec un sentiment d’une délicatesse rare ; l’émotion en est graduée