Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/670

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nunzio a des mois si merveilleux pour évoquer dans l’imagination de son « lecteur » les choses qu’il veut peindre et voit lui-même, que, la brochure en main, on respire vraiment avec lui l’odeur des roses. Les cyprès dont il parle éveillent le souvenir des temples de Vénus ; le secret du bois qu’il a rêvé nous trouble autant qu’il lui plaît ; la vétusté des statues qu’il y loge nous attendrit à sa volonté. Mais tout à l’heure, au théâtre, tout cela n’était que carton et toile peinte ; les belles descriptions palpitantes du poème avaient fait comme le mystère et le parfum, elles étaient restées dans le livre fermé. Un vaudeville, joué dans le décor d’une villa de banlieue un peu abandonnée, et cette « élégie lyrique, » s’entourent sur la scène des mêmes apparences. L’art des décorateurs est limité dans ses ressources, la perspective est noire, grise, bleu pâle ou bien foncé : elle n’a pas de mystère. De même pour le long monologue où une grande actrice se débat en racontant ce qui devrait être montré, en faisant espérer par sa présence réelle ce qui ne viendra point. Il ne s’agit pas de savoir si elle débite, avec une émotion tragique, ou une grâce amoureuse qui donne le frisson, de superbes couplets lyriques. Nous sommes au théâtre et non devant un piano, où une chanteuse dit merveilleusement une romance qui trouble. Or, ici, l’affaire n’est pas d’émouvoir le spectateur par une tirade si belle qu’on ne peut l’imaginer autre qu’elle est, ou une scène isolément dramatique. Le théâtre commence seulement quand des scènes de cette couleur se lient entre elles pour faire progresser le développement d’un caractère, ou les épisodes d’une action.

M. Henry Fouquier, que son goût de la culture italienne et de l’œuvre romanesque de M. d’Annunzio disposait le plus favorablement du monde pour l’auteur d’Une matinée de printemps, qualifia ce « songe » de « poème dialogué ; » il parla de « monotonie ; » il dit, avec une intéressante clairvoyance du parti pris, dans lequel, volontairement ou non, allait s’enfermer d’Annunzio : « J’aime à considérer le personnage du Songe comme une abstraction, comme un « symbole. »

Un symbole aussi, un symbole de l’amour fatal, païen, passionné, que ne traverse nulle clarté de libre arbitre, voilà ce qu’elle est, cette dogaresse Gradeniga du Songe d’un crépuscule d’automne, que le souvenir des voluptés qu’elle va perdre secoue comme un vent furieux. Le cri qui lui jaillit de la poitrine est si surhumain que la vision de la femme s’efface ; on pense malgré