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les lettres et dans les arts, les jeunes ambitions s’attachent tout d’abord aux maîtres en qui brillent les dons qui lui manquent le plus. C’est pour cette raison qu’à ses débuts M. d’Annunzio subit, plus ou moins inconsciemment, l’influence du roman russe et de la psychologie de M. Paul Bourget. Mais déjà, dans l’Intrus et surtout dans le Triomphe de la Mort, il est emporté par son tempérament à travers les chemins qui seront les siens propres. C’est comme le bruit lointain d’une galopade d’abord étouffée par la distance et l’épaisseur du gazon, mais qui se rapproche, devient plus retentissante, plus nettement rythmée, plus écumante, et qui finit par passer, comme une trombe, avec des hurlemens de chevauchée fantastique.

Les romans des Vierges aux rochers et du Feu appartiennent, l’un comme l’autre, à cette période d’affranchissement où, sous le symbolisme du Nord, et le parti pris d’esthète qui faisait songer à une transposition, dans le roman, des manières combinées d’un Gustave Moreau et d’un Puvis de Chavannes, perce le lyrisme originel, ardent, incompressible comme ces flammes de volcan qui, ici et là, continuent de soulever la montagne italienne et de la couronner de flammes. Les règles de la composition, le souci de ménager le lecteur, le désir de se faire exactement comprendre de lui, sont abandonnés. Le romancier déborde d’une passion tout individuelle ; on a le sentiment qu’il en étoufferait s’il ne l’exprimait point. La langue même lui cède, elle ne décrit plus, elle n’analyse plus ; elle reflète des visions, elle bondit en élans d’oraison lyrique. Elle a des trouvailles splendides et des obscurités douloureuses ; elle étonne et elle déconcerte ; elle désole les admirateurs trop équilibrés, de passion moyenne, ceux qui s’étaient flattés d’avoir trouvé dans M. d’Annunzio un fournisseur excellent de la qualité de plaisir qu’ils aiment, moyenne et tempérée comme eux.

Et pourquoi leur plairait-il ? Pourquoi les ménagerait-il, eux ou personne ? Il suffit d’ouvrir (son œuvre poétique pour constater que le « prochain, » toute cette partie de l’univers qui n’est pas lui-même et sa passion, lui devient chaque jour plus indifférente. Le poète brise, les unes après les autres, avec une inconscience dont il ne s’excuse pas, ou une volupté cruelle dont il triomphe, les infortunées qui l’ont aimé. Sa mère elle-même ne trouve qu’un instant grâce devant cet égoïsme splendide et destructeur. Le jeune poète s’écrie, dans un Message, « qu’il rentrera