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aux Saint-Simoniens, Suez et Panama, était peut-être trop ambitieuse : elle excédait les forces d’un seul homme et dépassait la durée d’une seule vie.

Il eût fallu deux jeunesses au brillant sportsman, à l’ardent lutteur, à l’avisé politique que fut le Lesseps du Canal de Suez. N’est-ce pas Charles-Quint vieilli qui disait que la Fortune est femme et ne sourit qu’aux jeunes ? Plus près des événemens que nous ne le sommes, les hommes les plus éminens ont laissé tomber sur son cercueil des paroles qui ne se souvenaient que de la gloire et qui amnistiaient la défaite. Au lendemain de sa mort, M. Gréard, l’orateur de l’Académie française, saluait en ces termes le confrère disparu : « Dans la vie si pleine, si militante, de M. de Lesseps, tout, jusqu’au sommeil qui vint à temps l’endormir dans le sentiment de sa gloire et lui épargner les plus amères tristesses, tout prépara la légende dont, un jour, l’imagination populaire, comme pour les plus grands pionniers de la civilisation au XVIe siècle, enveloppera son histoire. » A mesure que les jours s’écoulaient, et que de plus près on étudiait cette vie, les plans les plus rapprochés s’effaçaient pour ne laisser apparaître que les sommets. Dès 1897, sur la proposition de son président, le prince Auguste d’Arenberg, l’Assemblée générale des actionnaires de la Compagnie décidait qu’un monument serait élevé à Lesseps sur cette terre d’Egypte qui lui avait pris le meilleur de son existence. L’emplacement choisi fut la jetée de Port-Saïd ; c’est au puissant artiste Frémiet que l’on confia la tâche de couler en bronze la statue colossale où revit Ferdinand de Lesseps dans toute la force et la grâce de ses belles années, le sourire de l’espérance sur les lèvres. Le 17 novembre 1899, fut célébrée l’inauguration, en aussi grand appareil que celle qui, trente années auparavant, jour pour jour, avait consacré le mariage des deux mers. Le nouveau khédive, Abbas-Hilmi, héritier de tant de vice-rois qui avaient, eux aussi, été à la peine, présidait la cérémonie. Il glorifia, dans une courte allocution, « la haute intelligence et l’infatigable activité » du fondateur. Le prince d’Arenberg terminait ainsi son discours : « Lorsque le soleil émergeant de l’horizon oriental se lèvera pour inonder de ses paillettes d’or les sables du désert, il enveloppera d’une éblouissante clarté la figure qui se dresse devant lui... Les pavillons des nations, en pénétrant dans le Canal de Suez, s’abaisseront devant la statue de Ferdinand de Lesseps, et ils salueront son immortalité. »