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britannique, lord Stratford de Redcliffe. Celui-ci fit ajourner, jusqu’à ce que son gouvernement eût été consulté, la ratification du Sultan.

Lesseps comprit que l’opposition de l’ambassadeur anglais ne pouvait être brisée que par une campagne en Angleterre. A la fin de juin 1855, il était à Londres. C’est moins au gouvernement britannique qu’il comptait faire appel qu’à l’opinion et aux intérêts britanniques. La Compagnie des Indes, la Compagnie péninsulaire et orientale de navigation, les négocians de la Cité, les chambres de commerce, les armateurs, les fabricans de machines applaudirent à une entreprise dont le succès diminuerait de plus de moitié la durée et les frais du voyage entre la Grande-Bretagne et les Indes. En revanche, le gouvernement se révélait intraitable. Palmerston adressait au cabinet des Tuileries une note où il dénonçait « la poursuite d’une œuvre chimérique qui pouvait altérer les bons rapports des deux grandes nations européennes. » Clarendon, ministre des Affaires étrangères, invoquait « la tradition du cabinet de Saint-James, qui a toujours été contraire à la canalisation de l’isthme de Suez. »

Revenu à Paris, Lesseps obtint une audience de Napoléon III, qui lui dit : « Cela se fera ; soyez fort, et tout le monde vous soutiendra. »

Pour être fort, surtout contre Palmerston et Clarendon, il sentit qu’il lui fallait s’appuyer sur l’opinion britannique et sur l’universalité de l’opinion européenne. Lesseps constitua une commission internationale, où furent appelés des savans et des spécialistes appartenant à tous les pays. Elle comprit même des Anglais. Elle tint deux séances à Paris (octobre 1855) et désigna quatre de ses membres, dont un Anglais, pour aller étudier la question sur les lieux mêmes. Lesseps présenta au vice-roi les délégués ; Linant et Mougel leur firent les honneurs de l’Egypte, les promenèrent du Caire à Suez, puis de Suez à Péluse, sur les vestiges de l’ancien canal et sur la ligne des nouveaux puits de forage. Les délégués rédigèrent un rapport sommaire approuvant le projet Lesseps et l’adressèrent au Khédive. De retour en Europe, ils préparèrent un rapport définitif qui parut l’année suivante. Déjà le vice-roi, le 5 janvier 1856, avait accordé un firman qui renouvelait celui de 1854 et qui devait être la charte de la Compagnie. Lesseps repartit pour l’Angleterre. Il y tint une vingtaine de meetings, recueillit l’adhésion des chambres