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encore plus grandes. Le groupe de ces hardis novateurs avait été un moment sur la vraie piste : presque aussitôt ils s’en écartèrent.

C’est alors qu’intervient Ferdinand de Lesseps. Né en 1803, entré fort jeune dans la carrière diplomatique, il avait été en 1826 élève consul à Alexandrie, où il ébaucha des relations qui devaient lui être précieuses en son âge mûr. Il y connut Méhémet-Ali, et le pacha lui avait dit : « C’est ton père qui m’a fait ce que je suis ; rappelle-toi qu’en toutes circonstances, tu peux compter sur moi. » Ils ne devaient pas se revoir. Nous retrouvons Lesseps au consulat de Malaga (1839), puis de Barcelone (1841), puis à la légation de Madrid (1848), puis au poste si difficile de Rome dans les années critiques de 1848 et 1849. À ce moment, par suite d’un désaccord entre lui et le gouvernement du Prince-Président, il donna sa démission, L’Egypte l’attirait depuis trop longtemps : le problème de la jonction entre les deux mers n’avait jamais cessé de le passionner. Dès 1826, âgé de vingt et un ans, il avait étudié le rapport de Le Père. De tous les postes qu’il occupa ensuite, il suivait les travaux exécutés par Méhémet-Ali et ses collaborateurs français, les essais des Saint-Simoniens, les projets des divers ingénieurs. Il avait même rédigé un mémoire qui, traduit en arabe, fut placé sous les yeux d’Abbas-Pacha, dont la médiocre intelligence n’en tint aucun compte. La Turquie n’avait pas fait meilleur accueil au projet.

Successivement étaient morts Méhémet-Ali (novembre 1848), puis Abbas-Pacha (septembre 1854). La vice-royauté fut dévolue à Mohammed-Saïd, quatrième fils du fondateur de la dynastie, Lesseps, autrefois, s’était lié avec lui d’une amitié de jeunesse. Il s’empressa de lui adresser une lettre de félicitations sur son avènement, lui annonçant une prochaine visite. Pourtant sur le nouveau Khédive, il recueillait une information inquiétante : Saïd avait confié naguère au consul général de Hollande que, son père ayant renoncé à tout projet de canal interocéanique pour ne pas s’attirer des difficultés avec l’Angleterre, si lui-même devenait vice-roi, « il ferait comme son père, » Le 15 novembre eut lieu, au camp de Maréa, près du Caire, l’entrevue entre les deux anciens amis : Lesseps acheva de séduire Saïd par sa bonne grâce, sa bonne mine et ses prouesses de hardi cavalier. Le 30 novembre, le vice-roi signait un firman de concession accordant « à son ami M, de Lesseps le pouvoir exclusif de