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groupe ; mais, parfois, c’était aussi des idées pratiques qu’il enveloppait d’une phraséologie pompeuse, mystique, toute religieuse. Dans sa correspondance, avec les effusions humanitaires et les sentences d’oracle alternent les recommandations très claires et les instructions techniques. Il écrivait à un de ses disciples : « Aujourd’hui, je sens que c’est ma face politique que je dois d’abord montrer à l’Orient... C’est à nous de faire, entre l’antique Égypte et la vieille Judée, une des deux nouvelles routes d’Europe vers l’Inde et la Chine. Plus tard, nous percerons aussi l’autre, à Panama. Nous poserons donc un pied sur le Nil, l’autre sur Jérusalem. Notre main droite s’étendra vers La Mecque, notre bras gauche couvrira Rome et s’appuiera encore sur Paris. Suez est le centre de notre vie de travail. Là nous ferons l’acte que le monde attend pour confesser que nous sommes mâles. »

Ces manifestations apocalyptiques n’empêchaient pas le Père Enfantin d’assigner, avec une parfaite précision, son poste de combat à chacun de ses ingénieurs, de s’assurer le concours de personnages officiels, d’organiser une campagne de publicité, de créer, en 1846, la « Société d’études pour le canal de Suez. » Elle comprend trois groupes d’associés, — Anglais, Allemands, Français, — ayant respectivement pour ingénieurs Stephenson, de Negrelli, Paulin Talabot. Les chambres de commerce de Lyon et Marseille lui apportent leur adhésion ; l’exemple est suivi par celles de Trieste, de Venise, de Prague, par le lloyd autrichien. On réunit des fonds, les ingénieurs se répandent sur les lignes à étudier et procèdent aux travaux de nivellement. Encore en 1844, Michel Chevalier s’en référait à ceux de Le Père et évaluait à un maximum de 9m, 90 la surélévation de la Mer-Rouge, Paulin Talabot, dans son rapport général de 1847, porte le coup de grâce à cet antique préjugé et constate que Laplace et Fourier avaient eu pleinement raison contre Le Père.

Il semblerait donc que les Saint-Simoniens dussent aboutir à cette conclusion : le tracé rectiligne d’une mer à l’autre. Il n’en est rien : à part Negrelli, tous les membres de la « Société d’études » en reviennent à des variantes de l’ancien tracé. Paulin Talabot projette un canal de 400 kilomètres qui, des lacs Amers, longeant le lac Timsah, ira rejoindre le Nil un peu au-dessous du Caire pour continuer sur Alexandrie. Plus tard, le projet des frères Barrault présentera des complications analogues, mais