Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/635

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alors comme la grande puissance commerciale de la Méditerranée ; elle jouait à peu près le rôle que s’est arrogé de nos jours l’Angleterre ; son triomphe dura tant que se prolongea l’âge purement méditerranéen du trafic universel.

C’est à la fin du XVe siècle, lorsque commence l’âge océanique, que la prépondérance de Venise est sérieusement menacée. Les autres nations européennes aspirent toujours à prendre leur part des richesses des Indes et du Cathay ; Venise leur barrant le seul chemin direct à peu près praticable, elles cherchent d’autres voies pour atteindre les Terres promises. Christophe Colomb croit, à travers l’Atlantique, avoir trouvé la route directe de la Chine et des Indes ; Vasco de Gama la découvre par le cap de Bonne-Espérance ; les Portugais prennent pied sur tous les rivages de l’Océan Indien. C’est dans la Mer-Rouge que s’engage entre eux et les Vénitiens la lutte pour la prépondérance commerciale. Venise comprend que sa prospérité est mise en péril par l’ouverture d’une voie maritime, plus détournée, plus longue, mais soumise à moins de risques, et que tendent à monopoliser les Portugais. Elle éprouve les mêmes inquiétudes, la même irritation que ressentit l’Angleterre quand, maîtresse à son tour de la route maritime par le Cap, elle vit s’ouvrir par le percement de l’isthme de Suez une voie concurrente, encore plus sûre et beaucoup plus rapide. Déjà, dans la partie qui s’engage entre Venise et le Portugal, la terre des Pharaons est l’enjeu. Aucune de ces deux petites puissances maritimes ne se sent de taille à se l’approprier par la conquête ; mais le Portugal pense à détruire l’Egypte pour détruire la voie concurrente ; Albuquerque projette de détourner le Nil dans la Mer-Rouge et à faire ainsi du « don du fleuve » un désert de sable ; Venise, plus pratique, rêve d’améliorer cette même voie ; et c’est Venise qui remet en circulation l’idée, presque oubliée pendant huit siècles, de percer l’isthme de Suez ou tout au moins de restaurer l’ancien canal.

La France, à qui devait rester un jour le dernier mot sur cette question, semble alors se désintéresser du conflit entre Venise et le Portugal. Sous François Ier, elle pensa surtout à s’assurer la voie commerciale par la Syrie et l’Euphrate, et c’est un des principaux articles des capitulations qu’elle obtint de Soliman le Magnifique. Il n’était pas possible cependant que les Français n’en revinssent pas à l’idée la plus simple et la plus