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Séti Ier, sur son char de guerre, revenant victorieux d’une expédition en Syrie, et les prêtres et les grands de l’Egypte, avec une troupe de musiciens, se préparant à lui faire un accueil triomphal. Entre le souverain et ses sujets enthousiastes, le bas-relief dessine un large canal, que le vainqueur va franchir sur un pont, et que les hiéroglyphes désignent sous ce nom : La Coupure. C’est donc bien à Séti Ier, et au moins jusqu’à lui, qu’il faut faire remonter l’existence d’un canal.

Mais qu’était ce canal ? Le tracé, bien qu’interrompu et, par endroits, presque effacé par les ensablemens, a été retrouvé par les ingénieurs du XIXe siècle. Partant de la Méditerranée, il suivait la bouche Pélusiaque du Nil, d’Avaris (Péluse) à Bubaste (Zagazig) ; il n’était donc, pour cette première partie, qu’une canalisation du fleuve ; de Bubaste à Heroopolis, puis aux lacs Amers, s’étendait le vrai canal. Il ne continuait pas, au moins dans l’âge pharaonique, jusqu’à la Mer-Rouge. D’après les évaluations des écrivains anciens, il avait une largeur soit de cent coudées, soit de cent pieds, et une profondeur de quarante pieds, plus que suffisante pour les plus grands navires de l’époque. Comme il était alimenté par le Nil, la navigation n’y était possible que durant les hautes eaux du fleuve ; quand celui-ci rentrait dans son lit, surtout quand il retombait à l’étiage, le niveau du canal baissait à proportion, jusqu’à ce qu’il fût presque à sec. Ainsi, pas de communication en ligne droite d’une mer à l’autre ; un long détour en pleine terre d’Egypte ; la navigation suspendue pendant une grande partie de l’année ; enfin le point terminus aux lacs Amers : tels étaient les caractères de l’œuvre pharaonique.

Comment expliquer l’étrangeté apparente de ce tracé, et surtout sa brusque interruption ? D’une part, la croyance à une différence de niveau entre la Méditerranée et la Mer-Rouge, à une surélévation de celle-ci, qui, par le canal continué jusqu’à elle, aurait submergé toute l’Egypte, devait être en pleine vigueur dans les âges antiques. Ne l’a-t-elle pas été durant tout le moyen âge et dans les temps modernes ? Pendant la première moitié du XIXe siècle, certains travaux d’ingénieurs, des nivellemens mal exécutés comme ceux de Le Père, de complaisantes affirmations comme celles de l’Anglais Stephenson (encore en 1857), n’ont-ils pas donné une apparence de sanction scientifique à cette vieille erreur ? D’autre part, il paraît certain que les Pharaons n’ont cherché qu’une amélioration des voies commerciales sur leur