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qui achève la beauté de l’œuvre. » Lui citait-on Rubens, Ingres répliquait : « Si ses premiers maîtres s’étaient effectivement attachés à châtier l’incorrection de son dessin et la vulgarité de ses types, ils seraient sans doute parvenus à rendre ce grand artiste plus complet par la forme sans détruire ses qualités éminentes. »

Pour Ingres, de son propre aveu, c’était le pire dans le mauvais que de sembler dire à des élèves : « Usez de votre liberté, faites ce que vous voulez, foulez aux pieds ces liens ennuyeux de sérieuses études. » Qu’était-ce donc là autre chose, remarquait-il, que « le langage destructeur du romantisme qui, sans travail, veut tout savoir et trompe la foule ignorante des belles et utiles choses, ce qui a fait que le romantisme a perdu l’art ? » A ceux qui estimaient que la résidence des pensionnaires à Rome était trop prolongée et que le lieu de séjour des jeunes artistes devait varier selon le caractère de leurs talens, Ingres répondait : « Je combats cette opinion ; Rome réunit tous les caractères possibles et représente l’art dans tout son apogée, son beau ciel, la beauté de ses sites, son beau climat même, tout y est riche de poésie. Je voudrais donc que les pensionnaires y fussent comme attachés. D’ailleurs, dans le cours de leur séjour, ils font, avec l’agrément du directeur, des voyages de quelques mois en Toscane, à Venise et autres lieux, mais toutes leurs obligations sont à l’Académie de Rome... Et puis, tous les musées de l’Europe ne sont-ils pas représentés à Rome, dans les nombreuses galeries des princes romains ? Et les seules peintures du Vatican par Raphaël et Michel-Ange ne sont-elles pas le sublime apogée de l’art ? Tout ce que cette ville renferme de richesses et de monumens d’architecture en fait comme le vestibule de la Grèce...[1] »

Ces paroles du maître, qui jusqu’à la fin de sa vie professa ces invariables doctrines, disent assez quel fut le caractère de son directorat. Administrateur scrupuleux, Ingres apporta à l’accomplissement de tout ce qu’il considérait comme son devoir un zèle incessant. Il maintint la règle de l’Académie avec une rigueur que tempérait, le cas échéant, une très grande bonté personnelle. C’est ainsi qu’on le vit solliciter l’indulgence ministérielle

  1. Réponse au rapport sur l’École impériale des Beaux-Arts adressé au maréchal Vaillant, ministre de la maison de l’Empereur et des Beaux-Arts, par M. Ingres, sénateur, membre de l’Institut, Paris, 1863.