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à la chasse ou quelques lapins morts ; partout sont accrochés aux murs des tableaux achevés ou à moitié faits. L’Inauguration de la cocarde nationale (tableau bizarre qui ne me plaît pas du tout), les portraits commencés de Thorwaldsen, Aynard, La Tour-Maubourg, quelques chevaux, l’esquisse de la Judith, des études qui s’y rapportent, le portrait du Saint-Père, des têtes de nègres, des pifferari, des soldats du Pape, votre très humble serviteur, Caïn et Abel, enfin l’Atelier lui-même, sont suspendus dans l’atelier. Lorsqu’on voit avec quel entrain Vernet travaille, comme il se promène sur la toile, on est tenté de lui porter envie. Aussi tout le monde vient-il le voir travailler. A ma première séance, il vint au moins vingt personnes l’une après l’autre... »

Horace Vernet est tout entier dans ce croquis. Pour les pensionnaires, il fut un camarade plus qu’un directeur. C’était avec une incomparable bonne grâce qu’il faisait les honneurs de la Villa Médicis. Il y était aidé par son père, Carle Vernet, par sa femme, et aussi par la jeune fille charmante qui devint Mme Paul Delaroche et qui laissa à tous ceux qui la connurent un ineffaçable souvenir.

Entre Horace Vernet et Ingres, qui venait de peindre l’Apothéose d’Homère et le Portrait de Bertin l’aîné, et qui devint directeur de l’Académie de France en 1834, le contraste fut saisissant. Autant Vernet, enfant gâté des foules, se montrait fantaisiste, prime-sautier, cordialement accessible à tous, autant M. Ingres apparaissait comme le représentant solennel d’un dogme artistique immuable, dédaigneux du profane vulgaire, voyant presque dans la popularité le contraire de la gloire. Il était pénétré « de la haute ambition de continuer l’art au point où les peintres de la Renaissance l’avaient laissé. » Il proclamait Raphaël « un être vraiment divin descendu chez les hommes. » Il inspirait à ses élèves une vénération filiale et quasi religieuse. « Que ne lui dois-je pas ? écrivait Hippolyte Flandrin... Hier, il m’a embrassé comme un père embrasse son fils. Je ne sais plus comment le remercier, mais je pleure en pensant à lui, et c’est de la reconnaissance. »

Le sentiment qu’exprimait Flandrin avec une touchante sincérité ne s’atténua jamais chez la plupart de ceux qui furent les élèves d’Ingres. L’un d’eux[1], devenu célèbre et qui, presque

  1. M. Ernest Hébert.