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dans le recueillement où les souvenirs du passé s’évoquaient à mon esprit, je crois que l’inspiration me visita vraiment. Et jamais, dans le milieu tourmenté des villes, parmi les ambitions et les intrigues, je ne la trouvai si pénétrante. »

Quelle que fût la manière de voir de Suvée sur tel ou tel point spécial, une pensée, toujours la même, domina jusqu’à la fin son esprit : restituer à l’Académie tout son ancien éclat. La lettre que, le 8 août 1806, peu de jours avant sa mort, il adressa à Le Breton suffirait à prouver à quel point, même entre Austerlitz et Iéna, les événemens extérieurs le détournaient peu de l’objet de sa mission. Avec quelle conviction il y insiste pour que l’Institut maintienne l’exposition spéciale de notre école de Rome, « afin que le public conserve à celle-ci tout l’intérêt particulier dont elle est digne ! « Dans cette même épître, Suvée se plaint du retard que certains pensionnaires mettent à arriver à Rome ; il demande « qu’on les arrache au gouffre de Paris pour les rendre à leur devoir ; » il revient une fois de plus sur la nécessité des fortes études indispensables aux mieux doués ; il s’élève contre les petits prodiges pour lesquels « un succès éphémère fait crier au miracle » et qui « au bout de dix ans, n’ont pas fait un pas, parce qu’ils se sont dispensés de nouveaux efforts. » Peu après cette lettre dans laquelle il avait développé toutes ces idées en un style souvent plus flamand que français, mais avec un rare bon sens, Suvée mourait d’apoplexie comme Poërson, comme Wleughels, comme de Troy, ses prédécesseurs.

Entre tous les directeurs de l’Académie de France, Suvée, trop longtemps oublié, sinon méconnu, mérite une place d’honneur. En fixant le siège de notre école de Rome dans une résidence digne de son passé et de son avenir, en apportant la plus méritoire ardeur à rétablir non pas seulement ses salles de modèle et ses ateliers, mais sa tradition et son enseignement, il rendit à l’art français un service que rappelle, avec raison et avec justice, dès le seuil de la Villa Médicis, depuis la célébration du centenaire, en avril 1903, un très beau buste dû à j’un des pensionnaires de l’Académie, le sculpteur Alaphilippe. Nul hommage ne fut plus légitime. Sans les opiniâtres efforts de Suvée, en un temps où l’esprit public était absorbé par tant de préoccupations contraires, eût-on vu, au lendemain de la Révolution, se rouvrir les portes de i Académie de France, se rallumer un foyer auquel sont liés tant de glorieux souvenirs et aussi tant de chères espérances ?