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l’ancienne monarchie était avec raison libérale. Jugeant profitable d’accroître le nombre des Français de distinction, elle favorisait l’attrait qu’exerça de tout temps notre pays sur tant d’hommes, qui devinrent pour lui d’excellens serviteurs.

Suvée, comme François Fourbus, était né à Bruges, la patrie d’adoption du Flamand Jean van Eyck, du Mayençais Hans Memling, illustrée par leurs chefs-d’œuvre, une de ces vieilles cités qui inspirent à leurs enfans le goût des arts, de même qu’il en est d’autres qui font aimer l’histoire, en semblant rendre par leur cadre même une vie rétrospective aux événemens dont elles furent jadis le retentissant théâtre. A vingt ans, le jeune artiste vint à Paris poursuivre, dans l’atelier de Bachelier, peintre du Roi, les études qu’il avait commencées en Flandre. Au concours de 1771, dont le sujet était la Lutte de Minerve et de Mars pendant la guerre de Troie, il obtint le premier grand prix de Rome, l’emportant, — les concours ont de ces hasards, — sur Louis David, le futur chef de l’école française. Ce triomphe causa aux compatriotes de Suvée une grande fierté. Ayant voulu revoir sa ville natale avant son départ pour l’Italie, le jeune lauréat y fit son entrée dans un carrosse attelé de six chevaux, que suivaient vingt-sept voitures prêtées par la noblesse brugeoise : « Une troupe de musiciens et une statue de la Renommée, debout sur un char, la trompette en main, ouvrait la marche. »

Malgré l’éclat de ce début, Suvée ne dépassa pas un talent honnête et froid. De ses ouvrages on a pu dire sans injustice que, « s’ils n’offrent pas une grande beauté, du moins ils n’offensent pas le goût[1]. » Le professeur était supérieur au peintre. A une connaissance approfondie du dessin, de l’anatomie, de la perspective, à une précieuse rectitude de jugement, il joignait la passion du beau et de l’antique. Née en lui pendant les huit années qu’il avait passées à Rome sous le directorat de Vien, cette passion n’avait fait que grandir, lorsqu’il fut appelé à relever de ses ruines l’œuvre d’Errard, le premier des directeurs de l’Académie de France, avec lequel il offre plus d’un trait commun. Animés du même esprit, fidèles aux mêmes traditions, tous deux, à près d’un siècle et demi d’intervalle, professèrent les mêmes doctrines et tinrent le même langage.

Renseignant Colbert sur le voyage du sculpteur Girardon en

  1. Paul Landon, Salon de 1808.