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une charge d’ensemble, tandis que, vers Nerwinde, d’Harcourt poursuit sa course victorieuse, et qu’à l’autre bout de la ligne, du côté de Neerlanden, la réserve dessine un mouvement offensif. De toutes parts, l’armée des Alliés sent se resserrer notre étreinte. Une irrésistible poussée menace de l’acculer aux bords périlleux de la Geete ; et Guillaume, conscient du danger, se résigne enfin à donner l’ordre de la retraite.

Résolution tardive ! Déjà, sur ses troupes ébranlées, s’abattait la panique, plus meurtrière que la bataille. Pour s’échapper, une seule issue restait, la Geete, aux rives hautes et glissantes, et qui, grossie par l’orage de la veille, roulait des eaux limoneuses et rapides. Sept ponts seulement la traversaient, en arrière du camp retranché, sept ponts étroits, pour toute une grande armée. Pourchassés, l’épée dans les reins, par nos impétueux escadrons, fantassins, cavaliers, officiers et soldats coururent vers la rivière, dans une fuite éperdue. Guillaume, conservant son sang-froid sous le vent de folie qui soufflait en tempête, fit de son mieux pour protéger, pour couvrir la retraite, et sauver les débris de ses régimens dispersés. A la tête de ses Gardes, et soutenu par le comte d’Athlone, dont la brigade était intacte, il chargea plusieurs fois la cavalerie française et la tint un temps en échec. Mais il fut enfin entraîné dans le torrent de la déroute. Serré de près par plusieurs de nos gens, il eut grand’peine à se frayer passage jusqu’à la Geete et ne dut son salut qu’à la sûreté du pied de son cheval, qui franchit les berges visqueuses et le porta sur l’autre bord. Le capitaine de ses Gardes fut pris : « Tenez, messieurs, — dit-il à ceux qui le terrassaient, en désignant de loin Guillaume d’Orange, — voilà celui qu’il vous fallait prendre ! »

Dans la masse confuse des fuyards, l’affolement grandissait de minute en minute. Nos troupes, exaspérées par dix heures de combat, n’accordaient guère de quartier, et massacraient ceux qu’elles pouvaient atteindre. Là succombèrent le prince de Barbançon, le comte de Solms et plusieurs autres généraux de l’état-major de Guillaume. Le duc d’Ormond[1] aurait eu le même sort, sans une bague qu’il avait au doigt ; cet énorme diamant attira les regards du soldat prêt à le frapper, qui préféra garder intacte une proie devinée lucrative. Sur les rives de la Geete, la

  1. Jacques Butler, duc d’Ormond, qui fut plus tard généralissime des armées anglaises, né en 1665, mort on 1747.