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les eût, aux époques barbares, regardés comme indignes du noble métier de la guerre. A Sparte, « on les eût exposés le jour de leur naissance. » Le moyen âge chrétien les eût confinés dans un cloître. Quelques siècles plus tard, cet avorton, ce valétudinaire, ce « nain bossu, » ce « squelette asthmatique, » sont l’âme de deux puissantes armées, les embrasent de leur flamme, les dominent par le seul ascendant du génie, démontrant ainsi sans réplique, par un argument saisissant, la supériorité nouvelle et légitime du cerveau sur le muscle et de l’esprit sur la matière.


Il était trois heures après midi. L’ennemi ne cédait pas encore, mais sa résistance mollissait. Malgré tous les efforts pour nous en déloger, Nerwinde demeurait dans nos mains. Dans la plaine, écrit d’Artagnan[1], « quoiqu’il y eût des charges les unes moins heureuses pour nous que les autres, nous ne laissions pas de gagner toujours du terrain... Nous nous trouvions en état de nous former devant eux sur deux lignes, et de leur présenter un front pareil au leur. » À ce moment, un remous extraordinaire se produisit sur la droite des Alliés, qui donna tout à coup des signes d’épouvante. C’était d’Harcourt[2], avec ses vingt-deux escadrons, qui entrait brusquement en scène, par une charge impétueuse sur le flanc de l’ennemi. A Huy, qu’il était chargé de garder, il avait entendu, à six lieues de distance, le bruit de la bataille ; sans attendre les ordres, — qui le rejoignirent en chemin, — il s’était mis diligemment en marche[3]. Arrivé sur les lieux, avec sa prompte intelligence, il s’était rendu compte du point où il fallait frapper. Franchissant le ruisseau entre Laer et Nerwinde, il lance ses escadrons sur les troupes qu’il voit devant soi, profite de leur surprise pour les renverser entièrement et les refouler sur Nerwinde. Luxembourg voit ce qui se passe ; il comprend que, sur toute la ligne, l’heure a sonné de l’effort décisif. Des estafettes se précipitent dans toutes les directions, ordonnant de sa part une attaque générale. Au centre, toute la cavalerie se masse et se porte en avant, dans

  1. 3 août. — Archives de la Guerre, t. 1328.
  2. Henri d’Harcourt, marquis de Beuvron, plus tard duc d’Harcourt, né en 1654, maréchal de France an 1703, mort en 1718.
  3. « Il fit cinq lieues au grand trot », porte le rapport officiel. (Archives de la Guerre, t. 1206.)