Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/597

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouée, mourir à quatre pas d’ici, content d’avoir servi sous un général tel que vous ! » Un réfugié français, le marquis de Ruvigny[1], combattait avec rage dans les rangs des confédérés ; tombé de cheval, il est pris ; si on l’envoie au camp du Roi, c’est la mort assurée ; sa tête paiera sa trahison. Mais quelques officiers, de ses anciens compagnons d’armes, l’aperçoivent, s’émeuvent de pitié. Sans lui adresser la parole ni faire semblant de le connaître, ils le relâchent et le font échapper.

Les princes, les maréchaux, tous ceux qui tout à l’heure étaient à l’assaut de Nerwinde, sont là maintenant et mènent les charges. Joyeuse, bien que blessé, court chercher vers Rumsdorp les escadrons de la réserve ; il se met à leur tête, presse l’aile gauche des Alliés et la fait plier devant lui. Conti néglige une contusion qui lui meurtrit l’épaule ; suivi de quelque cavalerie, il longe, dans un galop rapide, le grand retranchement du front, dont il balaie les derniers défenseurs. Pendant cette course, un coup de sabre l’atteignit à la tête ; le « fer de son chapeau » para la violence du coup ; il tua l’agresseur de sa main. Les relations ne tarissent pas sur la conduite du Duc de Chartres. Quand le corps où il se trouvait s’introduisit dans l’enceinte fortifiée, Luxembourg, qui le rencontra, craignant sa fougue irréfléchie, conseilla au marquis d’Arcy, gouverneur du jeune prince, de ne le point laisser entrer : « Et pourquoi le retenir ? répondit le vieux gentilhomme. Vous y passez bien ; mon prince y passera aussi. » Le maréchal céda, mais il faillit s’en repentir. Le prince, à corps perdu, se jeta sur-le-champ au plus épais de la mêlée, chargeant tantôt en tête d’un escadron, et tantôt dans le rang comme un simple soldat. Peu s’en fallut qu’il ne fut pris. Un moment il se trouva seul en présence d’un peloton ennemi ; appréhendé, « tiraillé par son justaucorps, » on l’entraînait déjà, quand l’escorte survint, juste à temps pour le dégager[2].

Mais, dans cette phase dernière de la bataille, celui qui surpassa, effaça tous les autres, celui dont le sang-froid, la géniale clairvoyance, la prodigieuse activité, furent l’émerveillement de l’armée, ce fut le général en chef, le duc de Luxembourg. Oublieux des soixante-cinq ans qui pesaient sur sa tête, nul ne parut, au milieu de ce tourbillon, plus vif, plus jeune et plus

  1. Henry de Massué, marquis de Ruvigny, 1648-1720. — Il fut créé par Guillaume vicomte de Galway, comte de Tyrconnel, et pair d’Irlande.
  2. D’Artagnan à Barbesieux. — Archives de la Guerre, t, 1206.