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un autre ruisseau, qui venait de Landen ; en sorte qu’ils étaient comme enfermés sur trois côtés. Le front du camp, seul point qui parût vulnérable, était large d’une lieue au plus et défendu presque d’un bout à l’autre par un ravin profond. A l’extrême droite, étaient deux gros villages, le bourg de Laer et celui de Nerwinde ; ce dernier, comme écrit Berwick, « faisait un ventre » sur la ligne et, par sa position élevée, dominait toute la plaine. A gauche, se dressaient en pendant les villages de Rumsdorp et de Neerlanden. Chacune de ces quatre bourgades, suivant la coutume du pays, s’entourait d’une ceinture de fossés et de haies ; à l’intérieur de cette enceinte, chaque parcelle de terrain était enclose par « de grands murs de terre, de cinq pieds de haut et d’un pied d’épaisseur. » Ainsi se présentaient les défenses naturelles du camp, auxquelles Guillaume fit ajouter, avec une célérité surprenante, tout ce que la science de la guerre fournissait alors de ressources. « La nuit entière, dit une des relations françaises, nous entendîmes dans le camp des ennemis un bruit et un mouvement extraordinaires, dont nous cherchions à deviner la cause. » C’étaient les 60 000 soldats qui, transformés en travailleurs, faisaient des abatis, élevaient des fortifications et construisaient des barricades, avec l’ardeur fiévreuse d’un peuple d’abeilles dans sa ruche.


Lorsque le jour parut, Luxembourg, debout avant l’aube, eut sous les yeux un spectacle imprévu. L’aspect général du terrain s’était, depuis la veille au soir, modifié comme par enchantement. Une vaste forteresse avait surgi du sol et se hérissait dans la plaine. Devant le front du camp ennemi, de Nerwinde à Rumsdorp, s’élevait un immense parapet, haut de quatre pieds, percé de meurtrières et bordé d’un fossé profond ; tout du long, de petites redoutes flanquaient cette crête de distance en distance ; une centaine de canons, hissés sur ces ouvrages, luisaient dans la brume du matin. Trois des villages dont j’ai parlé plus haut étaient changés en citadelles. Nerwinde surtout, avec ses murs crénelés, les palissades qui le couvraient, les barricades qui encombraient ses rues, paraissait un fort imprenable. « Il est incroyable, — s’écrie le duc de Saint-Simon, qui visita ces retranchemens le soir de la bataille, — qu’en si peu d’heures, dont la nuit couvrit la plupart, ils aient pu leur donner l’étendue qu’ils avaient, la hauteur de quatre pieds, des fossés larges et