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au sujet des affaires d’Allemagne : « La perte d’Heidelberg a causé une alarme telle en Allemagne, que je crains que beaucoup de princes en viennent à des résolutions extravagantes. Si l’ennemi pousse ses avantages jusqu’au bout, je ne vois pas quelle sera la force suffisante pour sauver Mayence et Francfort, dans le cas où l’ennemi voudrait attaquer ces places fortes... Je crains que le succès des Français en Allemagne ne retienne les Danois d’attaquer Ratzbourg d’une façon effective[1]. » Mais, si Guillaume avait des craintes réelles pour le sort futur de l’Allemagne, le péril immédiat qui menaçait la Flandre le touchait davantage encore, et l’on peut tenir pour certain qu’il éprouva, de la volte-face du Roi, une joie égale à sa surprise. « On sut que le prince d’Orange avait mandé à Vaudémont qu’une main qui ne l’avait jamais trompé lui mandait la retraite du Roi, mais que cela était si fort qu’il ne le pouvait, espérer ; puis, par un second billet, que sa délivrance était certaine, que c’était un miracle qui ne se pouvait imaginer, et qui était le salut de son armée et des Pays-Bas, et l’unique par quoi il pût arriver ! » Tous les historiens de l’époque, français ou étrangers, confirment sur ce point le témoignage de Saint-Simon.

Il est un autre point sur lequel ils demeurent également unanimes : c’est pour accuser de cette faute l’influence toute-puissante de Mme de Maintenon. Elle tremblait, nous dit-on, à chaque absence du Roi ; elle s’effrayait des périls de la guerre ; en outre, cette année, elle le savait malade et affaibli, ce qui redoublait ses angoisses : « Ses larmes après leur séparation[2], ses lettres après le départ, l’emportèrent sur les plus puissantes raisons d’Etat, de guerre et de gloire. » Telle est l’invariable version des mémorialistes du temps comme des écrivains militaires, Saint-Simon, Saint-Hilaire, La Fare, Feuquières, etc.[3]. Au camp aussi bien qu’à Versailles, à la Ville autant qu’à la Cour, la marquise porta tout le poids de l’indignation générale. De nos jours, cependant, elle a trouvé de zélés défenseurs[4]. On

  1. Lettre du 30 mai. — Archief, etc.
  2. Mme de Maintenon était restée avec les dames à Namur, lorsque le Roi se rendit au camp de Gembloux.
  3. Le seul Berwick émet un doute : « C’est ce que je ne puis, dit-il, ni affirmer ni nier. »
  4. Voir à ce propos la longue note de Lavallée dans sa publication des Lettres historiques et édifiantes de Mme de Maintenon, l’Histoire de Mme de Maintenon, par le duc de Noailles, etc.