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par cet événement parmi les électeurs et les princes de l’Empire : « Sur cette nouvelle, dit-il[1], je fus près de prendre la résolution d’envoyer mon fils avec une armée considérable en Allemagne pour, avec celle que commande le maréchal de Lorge, y faire un si puissant effort, que les princes de l’Empire et peut-être l’Empereur lui-même se trouvent obligés de s’accommoder avec moi. » Mais cette idée fut alors rejetée : « J’avoue que, dans l’espérance de faire quelque chose de considérable en ce pays (la Flandre), qui répondît à la grande puissance que j’y ai assemblée et aux préparatifs que j’y ai fait faire, je résistai aux instances pressantes que l’on me fit là-dessus et aux raisons solides et judicieuses que l’on m’allégua, et je poursuivis mon premier dessein, comme vous en jugerez aisément par la démarche que j’ai faite de venir jusqu’ici. » Ce fut à ce moment qu’il décida l’investissement de Liège, comme premier acte offensif. Mais, au cours du conseil de guerre tenu le 8 juin à Gembloux, les considérations écartées au Quesnoy furent produites à nouveau avec une plus forte insistance, et cette fois, hélas ! écoutées. « Je me suis enfin rendu aux remontrances vives que l’on m’a faites et aux mouvemens de ma propre raison, et j’ai sacrifié avec plaisir mon goût et ma satisfaction particulière, et ce qui pouvait le plus me flatter, au bien de l’Etat, étant convaincu que ce parti peut plus efficacement procurer le l’établissement de la paix, que tout autre que j’aurais pu prendre de ce côté-ci. »

Cet on malencontreux auquel, sans le désigner autrement, le Roi fait allusion à diverses reprises, nous le connaissons aujourd’hui. Ce fut le marquis de Chamlay, l’adjoint de Barbesieux au ministère de la Guerre, l’homme qui, depuis la mort de Louvois, avait le plus de part dans la confiance du Roi pour ce qui concernait l’administration militaire, et qu’il consultait également en matière de tactique. Foncièrement honnête homme, travailleur acharné, pourvu de toutes les qualités qui font un commis excellent et un précieux sous-ordre, mais esprit étroit, terre à terre et de courte portée, d’ailleurs obstiné dans ses vues et prévenu contre tout projet dont lui-même n’était pas l’auteur, Chamlay n’avait cessé, dès le début de la campagne, de critiquer plus ou moins sourdement le plan formé par Luxembourg, Aussi, lorsqu’il connut la prise d’Heidelberg, proposa-t-il l’idée « de

  1. Lettre du 8 juin 1693. — Archives de la Guerre, t. 1201.