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qu’il pensait réduire aisément, cependant que le maréchal ferait tête à Guillaume et le contiendrait dans son camp. Après la chute de Liège, mais, à cette heure seulement, on s’occuperait à réunir les deux armées contre celle du roi d’Angleterre. C’était l’ajournement du « grand coup » d’abord résolu ; mais ni les objections présentées par le maréchal, ni les précautions de l’ennemi pour protéger la grande place de la Meuse, rien ne put ébranler la volonté du Roi. Il n’y avait plus qu’à obéir. Quoi que l’on pût d’ailleurs penser de ce nouveau projet, l’issue n’en semblait pas douteuse, et Guillaume, le premier, tout disposé qu’il fût à une vigoureuse résistance, ne nourrissait guère d’illusions sur le résultat de la lutte : « Je crois probable ici le succès des Français, » mande-t-il tristement à Heinsius[1]. Et en effet, confirme Saint-Hilaire, « j’ai ouï dire à des gens très instruits qu’il aurait été infailliblement battu, et que ses retranchemens n’étaient point à l’épreuve de deux armées françaises, animées par la présence de leur. Roi.» Au camp français, par suite, parmi les officiers comme parmi les soldats, l’enthousiasme était général, et l’on attendait le signal avec une confiance impatiente.


Tel était l’état des affaires le 8 juin au matin. Quelques heures plus tard, ce même jour, changement à vue, coup de théâtre. De tous les projets de la veille, rien ne reste debout. Plus de siège et plus de bataille. Louis XIV retourne en France, et Guillaume d’Orange est sauvé. Ce revirement inouï, — l’une des grandes fautes du règne, — pose un problème qui passionna les historiens du temps et dont la discussion est encore à présent ouverte. Il me sera permis de mettre ici sous les yeux du lecteur, d’après les documens tirés des archives officielles, les pièces principales du procès.

Il convient tout d’abord de donner la parole à l’accusé, le Roi, qui, le jour même, dans une lettre à Monsieur, exposait comme il suit, dans une sorte de plaidoyer, la genèse et les causes d’une détermination dont il sentait la singularité. Le 28 mai, raconte-t-il à son frère, pendant le séjour au Quesnoy, un courrier de l’armée d’Allemagne lui avait annoncé la prise d’Heidelberg, capitale du Palatinat, par le maréchal de Lorge ; d’autres messages, survenant coup sur coup, insistaient sur le désarroi provoqué

  1. Lettre du 30 mai, loc. cit.