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I

Vaille que vaille, au milieu de mai les préparatifs furent achevés. Le 18 de ce mois, le Roi se mit en route avec une partie de la Cour. Cette fois encore, les dames furent de la fête, mais moins nombreuses que l’année précédente : vingt-sept en tout, dont Mme de Maintenon, avec la plupart des princesses. Luxembourg partit le même jour ; mais, cheminant plus vite, il fut convenu qu’il attendrait son maître au camp de Gembloux, près Namur, où rendez-vous fut pris pour le 28. Le rendez-vous manqua, par suite d’un fâcheux contretemps. A son arrivée au Quesnoy[1], Louis XIV dut s’aliter. La maladie n’était pas grave, — « une hypochondrie rhumatismale, » porte le Journal de Fagon ; — ce fut assez toutefois pour l’arrêter toute une semaine. Luxembourg vint le voir deux fois ; on tint conseil de guerre au pied du lit royal[2] ; des questions importantes y furent même agitées, ainsi qu’on verra tout à l’heure. Enfin, le mardi 2 juin, le souverain reprit son voyage et, le même soir, il débarquait au camp[3], six semaines après l’heure primitivement fixée pour l’entrée en campagne. Les deux armées, campées à une demi-lieue l’une de l’autre, comptaient ensemble 130 bataillons d’infanterie et 276 escadrons, soit au total 110 000 combattans, dont beaucoup, il est vrai, étaient de jeunes recrues. Dans l’état-major des Alliés, nul ne savait de quel côté crèverait ce formidable orage, et cette incertitude ajoutait à leur anxiété.

La situation de Guillaume était en effet fort critique. La mauvaise humeur, la méfiance, le découragement de certains des confédérés, l’avaient empêché cette année de réunir des forces suffisantes. « Nous n’avons pas assez de monde pour former deux armées considérables, en Flandre et sur le Rhin, écrit-il au début de mai. Il faudra se borner à faire d’une partie de nos gens un corps de couverture. » A peine, un mois plus tard, avait-il dans les Pays-Bas un effectif de 75 000 hommes, « ce qui n’approche

  1. Dans le Hainaut français, entre Valenciennes et Landrecies. Louis XIV y arriva le 25 mai.
  2. Journal de Dangeau, mai 1693.
  3. Les troupes de l’armée du Roi étaient à ce moment à Thieusies, et celles de Luxembourg à Felluy. Ce ne fut que le 7 juin que l’on s’établit à Gembloux.