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bois recouvertes de drap rouge où s’enferment les dames sur le dos des mules, au moins cinquante chevaux, des tentes magnifiques dressées sur l’herbe ; et des draperies clouées aux arbres, enfermant tout un petit bocage, évidemment pour mettre à l’abri des regards le harem du seigneur qui passe. — C’est, nous dit-on, un nouveau vizir, qui est envoyé de Téhéran pour gouverner la province du Fars, et qui se rend à son poste. Tout le caravansérail est pris par les gens de la suite ; inutile d’y chercher place.

Mais jamais villageois n’ont été plus accueillans que ceux qui viennent faire cercle autour de nous, — tous en longues robes de « perse » à fleurs, bien serrées à la taille, mancherons flottans, et hauts bonnets re jetés en arrière sur des têtes presque toujours nobles et jolies. C’est à qui nous donnera sa maison, à qui portera nos bagages.

La chambrette d’argile que nous acceptons est sur une terrasse et regarde un verger plein de cerisiers, où bruissent des eaux vives. Elle est soigneusement blanchie à la chaux, et agrémentée d’humbles petites mosaïques de miroirs, çà et là incrustées dans le mur. Sur la cheminée, parmi les aiguières orientales et les coffrets de cuivre, on a rangé en symétrie des grenades et des pommes de l’an passé, tout comme auraient fait nos paysans de France. Ici, ce n’est plus la rudesse primitive des oasis du Sud ; on commence à ne plus se sentir si loin ; des choses rappellent presque les villages de chez nous.


Lundi 21 mai. — Le matin, au petit vent frisquet qui agite les cerisiers et couche les blés verts, le camp du satrape s’éveille pour continuer son chemin. D’abord, les beaux cavaliers d’avant-garde, le fusil à l’épaule, montent l’un après l’autre sur leurs selles à pommeau d’argent et de nacre, frangées ou brodées d’or, et partent séparément, au galop. Ensuite on prépare les carrosses, où quatre chevaux s’attellent de front ; une vingtaine de laquais s’empressent, gens tout galonnés d’argent, en bottes et tuniques longues à la mode circassienne.

Le satrape, l’air distingué et las, accroupi sur l’herbe, à côté de sa belle voiture bientôt prête, fume avec nonchalance un kalyan d’argent ciselé que deux serviteurs lui soutiennent. On l’attelle à six chevaux, son carrosse, quatre de front aux brancards, deux autres devant, sur lesquels montent des piqueurs