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mendians suivent à la course, nous jetant des roses avec leurs souhaits de bon voyage.

Après cela, commence la campagne, la verdure neuve des peupliers et des saules, la teinte fraîche des orges, fleuries de bleuets, la blancheur des champs de pavots.

A midi, nous retrouvons la poussière et le délabrement habituel du caravansérail quelconque où l’on fait halte ; — dans un définitif lointain, la ville aux dômes bleus, la ville aux ruines couleur tourterelle, s’est évanouie derrière nous.

Et, pendant l’étape de la soirée, le désert nous est rendu, le désert que nous ne pensions plus revoir sur cette route de Téhéran, le vrai désert avec ses sables, ses étincellemens, ses caravanes et ses mirages, — ses jolis lacs bleus, qui durent trois minutes, vous tentent et s’évanouissent... Au milieu de tout cela, passer en voiture, rouler au grand trot sur des sentes de chameliers, c’est vraiment une incohérence tout à fait nouvelle pour mes yeux.


Dimanche 20 mai. — Murchakar est le village où nous avons dormi cette nuit, et notre voiture y a fait sensation ; hier au soir, lorsqu’elle était dételée à la porte du caravansérail, les bêtes qui revenaient des champs se jetaient de côté par crainte d’en passer trop près.

Tout le jour, sans difficultés sérieuses, nous avons roulé grand train, dans un désert assez carrossable, sur ce vieux sol de Perse, sur cette argile dure, tapissée d’aromates, que nous avons déjà si longuement foulée depuis Chiraz. Les montagnes, qui nous suivaient de droite et de gauche avec leurs neiges, il nous semblait déjà les connaître ; amas de roches tourmentées, sans jamais trace de verdure, elles rappelaient toutes celles que nous avons vues, depuis tant de jours, dérouler le long de notre route leurs chaînes monotones.

Et ce soir, dans une vallée, nous avons aperçu la fraîche petite oasis, où le village n’est plus fortifié, n’a plus l’air d’avoir peur, comme ceux des régions du Sud, s’étale au contraire tranquillement au bord d’un ruisseau, parmi les arbres fruitiers et les fleurs.

Mais quelle affluence extraordinaire aux abords, dans la prairie ! Ce doit être quelque grand personnage, voyageant avec un train de satrape : six carrosses, une vingtaine de ces cages en