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vue plonge aujourd’hui jusqu’au fond, comme dans des espèces de hangars, prodigieusement luxueux ; au temps des réceptions magnifiques, lorsque tous les rideaux étaient ouverts, on pouvait contempler du dehors, dans un lointain miroitant et doré, le chah assis comme une idole sur son trône. La nuance générale est un mélange d’or atténué et de rouge pâli ; mais les colonnes, revêtues de mosaïques en parcelles de miroir, que le temps a oxydées, semblent être en vieil argent.

Ce palais, tout ouvert et silencieux, n’a déjà pas l’air réel ; mais l’image tristement réfléchie dans la pièce d’eau est d’une invraisemblance plus exquise encore. Sur les bords de ce bassin carré, où se mire depuis si longtemps cette demeure de rois disparus, il y a de naïves petites statues, en silex gris comme à Persépolis, soutenant des pots de fleurs ; le pourtour est pavé de larges dalles verdies, que foulèrent jadis tant de babouches perlées et dorées. Et, partout, les roses, les églantines grimpent aux troncs lisses et blancs des platanes.

Intérieurement, on est dans les ors rouges, et dans les patientes mosaïques de miroirs, qui par places étincellent encore comme des diamans ; aux petits dômes des voûtes, s’enchevêtrent des complications déroutantes d’arabesques et d’alvéoles. Tout au fond et au centre, derrière les colonnades couleur d’argent, il y a l’immense encadrement ogival qui auréolait le trône et le souverain ; il est comme tapissé de glaçons et de givre. Et de grands tableaux, d’un fini de miniature, se succèdent en séries au-dessous des corniches, représentant des scènes de fête ou de guerre ; on y voit d’anciens chahs trop jolis, aux longs yeux frangés de cils, aux longues barbes de soie noire, le corps gainé dans des brocarts d’or et des entrelacs de pierreries.

Derrière ces salles de rêve, éternellement dédoublées à la surface du bassin, d’interminables dépendances s’en vont parmi les arbres, jusqu’au palais que Zelleh-Sultan habite aujourd’hui. C’étaient les harems pour les princesses, les harems pour les dames inférieures, et enfin tous les dépôts pour les réserves amoncelées et les fantastiques richesses : dépôt des coffres, dépôt des flambeaux, dépôt des costumes, etc., et ce dépôt des vins, que Chardin, au XVIIe siècle, nous décrivit comme tout rempli de coupes et de carafons en « cristal de Venise, en porphyre, en jade, en corail, en pierre précieuse. » — Il y a même des salles souterraines, de marbre blanc, qui étaient construites en