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VERS ISPAHAN

QUATRIÈME PARTIE[1]

Sur un bout de papier, confié à mon Persan le plus fidèle, dans la première minute du siège, j’ai griffonné ma détresse à l’unique Européen qui habite Ispahan, le prince D..., consul général de Russie. Ma maison assiégée se trouve par hasard assez voisine de la sienne, et je vois arriver aussitôt deux grands diables de cosaques, vêtus de la livrée officielle russe devant quoi tous les assaillans s’inclinent. Ils me sont dépêchés en hâte, m’apportant la plus aimable invitation de venir demeurer chez le prince, et, malgré la crainte d’être indiscret, il ne me reste vraiment d’autre parti que celui d’accepter. Je consens donc à rendre la place, et à suivre tête haute mes deux libérateurs galonnés d’argent, tandis que la foule, en somme pas bien méchante, enfantine plutôt, s’emploie d’elle-même à transporter mes bagages.

Au fond d’un grand jardin, — plein de roses, il va sans dire, et haut muré, bien entendu, — se retrouver tout à coup dans un logement vaste, propre et clair, avec le confort européen dans un cadre oriental, c’est tout de même un bien-être exquis, un repos inappréciable, après tant de jours passés dans les niches en terre et la promiscuité des caravansérails. Le prince et la princesse D... sont d’ailleurs des hôtes si charmans qu’ils savent, dès la première minute, vous donner l’illusion qu’on n’est point un chemineau

  1. Voyez la Revue du 15 décembre et des 1er et 15 janvier.