Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une obligation stricte, l’Angleterre intervienne en faveur du Japon. Supposons, par exemple, que celui-ci, après une lutte vaillante, soit sur le point de succomber et d’être écrasé : l’Angleterre laisserait-elle l’événement s’accomplir sans rien tenter pour l’empêcher ? Il serait imprudent de le croire. L’opinion britannique, on l’a vu ces derniers jours, est extrêmement impressionnable, et elle est violente, et impérieuse dans ses impressions. Son action sur le gouvernement est finalement toute-puissante. Qu’arriverait-il en pareil cas ? Quelles seraient les suites d’une intervention britannique éventuelle qui laisserait la Russie seule contre deux ? La Russie, alors, n’aurait plus les mêmes motifs de ne pas désirer, de ne pas demander le concours d’une autre puissance ; et on se doute bien à qui elle s’adresserait.

Ce sont là des hypothèses extrêmes qu’il est certainement prématuré d’envisager, et sur lesquelles il serait indiscret d’appuyer. Ce qui est sûr, c’est que nous ne sommes, en aucun cas, liés par des engagemens obligatoires. L’Angleterre en a ; nous n’en avons pas. M. Delcassé, dans son dernier discours au Sénat, a été amené à dire, — sans faire d’ailleurs aucune allusion à la situation actuelle, — que le champ d’action politique de la double alliance était surtout en Europe. La Russie et la France doivent se témoigner toujours et partout une bonne volonté réciproque qui n’a d’autre limite que celle de leurs intérêts ; mais c’est seulement en vue de l’Europe qu’elles ont contracté l’une à l’égard de l’autre des obligations plus précises. Nous n’en voulons pour preuve que la déclaration qui a été faite par les deux puissances lorsque le traité anglo-japonais a été connu. S’il y avait eu un engagement antérieur quelconque, cette déclaration aurait été superflue. On peut se demander, à la vérité, si l’engagement n’existait pas en secret, et si on n’a pas jugé l’occasion venue de le révéler ; mais alors il faut s’en tenir aux termes mêmes de la Déclaration, et il est clair qu’ils ne nous obligent à rien. Dans le cas où leurs intérêts seraient compromis en Extrême-Orient, parce que l’indépendance ou l’intégrité de la Chine serait menacée, la Russie et la France « se réservent d’aviser éventuellement aux moyens d’en assurer la sauvegarde. » Rien de plus, et c’est peu. C’est assez toutefois pour que, en dehors des considérations tirées de l’humanité elle-même, nous ayons un intérêt particulier au maintien de la paix. Alliés de la Russie en Europe et ses meilleurs amis en Extrême-Orient, mais amis aussi du Japon, avec lequel nous avons toujours eu et nous désirons conserver de bons rapports, la guerre, si elle éclatait et se