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toutes considérations d’amour-propre, en se plaçant d’ailleurs au point de vue de l’intérêt général. Le libre accès et la libre sortie du Petchili importe effectivement à tout le monde, y compris la Chine. Nous n’avons pas ici à indiquer des solutions : c’est l’affaire de la diplomatie de les chercher et de les trouver. Elle s’y applique avec une bonne volonté évidente. Rien n’a lassé jusqu’ici la patience du gouvernement russe et du gouvernement japonais ; ils sentent l’un et l’autre que, sans même parler de la responsabilité qu’ils auraient envers le monde entier s’ils laissaient la guerre éclater, ils seraient les premières victimes du fléau qu’ils auraient déchaîné. Ils se feraient, en effet, beaucoup de mal l’un à l’autre, dépenseraient beaucoup d’argent, répandraient beaucoup de sang, et n’atteindraient probablement, au bout de leur effort, que des résultats inférieurs à ce qu’ils auraient coûté. Peut-être cela est-il vrai surtout de la Russie, qui n’a pas grand’chose à gagner à une guerre, même heureuse : aussi le gouvernement russe est-il sincèrement pacifique. Mais qui ne l’est pas en Europe ? Tous les gouvernemens le sont, les peuples aussi. Il n’en est pas tout à fait de même de ce qu’on appelle leurs « colonies, » c’est-à-dire de leurs colons en Extrême-Orient. Les Anglais de Changaï et de Hongkong, par exemple, sont très belliqueux, et ils envoient aux journaux de Londres des télégrammes qui ne contribuent pas peu à maintenir l’effervescence des esprits. Mais s’ils entraînent parfois l’opinion, ils n’ont pas encore réussi à entraîner le gouvernement.

Le gouvernement désire la paix, parce qu’il ne sait pas à quelles complications, ni peut-être à quelles obligations pour lui la guerre pourrait conduire. L’Angleterre a un traité avec le Japon, traité qui a été publié et dont les termes sont connus. L’alliance des deux pays est nettement établie : toutefois, l’Angleterre n’est obligée à donner son concours militaire au Japon que s’il se trouve engagé contre deux adversaires à la fois. Il faudrait donc qu’une autre puissance entrât en ligne à côté de la Russie pour que le casus fœderis s’imposât à l’Angleterre ; aussi y a-t-il peu d’apparence à ce que les choses se passent de la sorte. Dans le cas où une puissance quelconque serait tentée de prendre parti pour la Russie, elle devrait songer qu’en le faisant, elle forcerait l’Angleterre à prendre parti pour le Japon, et il est probable que cette conséquence l’arrêterait. Il est probable également qu’elle empêcherait la Russie de désirer et de demander un concours qui assurerait au Japon celui de son allié. Mais les choses peuvent se passer autrement. Il peut arriver que, sans que son traité lui en fasse