Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/480

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est intéressé. Dans le nombre de ces nations, il en est une, le Japon, qui joint à ses préoccupations économiques des préoccupations politiques d’un ordre non moins important à ses yeux.

Le Japon prendrait son parti de voir la Russie rester maîtresse de la Mandchourie, s’il devenait lui-même, et dans les mêmes conditions, maître de la Corée. Les deux pays, Mandchourie et Corée, se touchent. Ils sont seulement séparés par deux rivières, le Yalou et le Tioumène : aussi est-il évident que, si la Russie, profitant de l’avance qu’elle a su prendre, se fortifie et se rend inexpugnable en Mandchourie, la prodigieuse force d’expansion qui est en elle deviendra bientôt une menace pour la Corée. Elle l’est déjà. Les Russes ont passé le Yalou ; ils ont des intérêts sur la rive gauche du fleuve, et, dans ces pays, où les intérêts politiques suivent généralement de très près les intérêts industriels et commerciaux, leur marche en avant sera sans doute rapide, s’ils ne rencontrent pas un obstacle, ou ne s’opposent pas à eux-mêmes un point d’arrêt. Le Japon ne pouvait pas voir cette situation sans une extrême inquiétude. Sa population pullulante est à l’étroit sur son territoire : de tout temps, il a considéré la Corée comme son déversoir et son champ d’activité nécessaires. Il n’y a pas un Japonais qui n’ait cette idée profondément enfoncée dans l’esprit, et qui ne soit prêt à en poursuivre la réalisation par des moyens quelconques. Tous les pays, et surtout les pays jeunes, ont ce qu’ils appellent leurs aspirations nationales : celles du Japon sont en Corée, et on peut être sûr que ce peuple intelligent, hardi, courageux, présomptueux même, enivré de ses victoires sur la Chine dont il s’exagère le mérite, ne reculera devant rien pour empêcher un autre, quel qu’il soit, de s’emparer de ce qu’il considère comme son bien. Le Japon peut attendre, mais non pas renoncer ; et il attendra d’autant plus patiemment que l’objet de ses désirs et de ses espérances ne sera menacé par personne, et paraîtra lui être réservé. S’il a eu autrefois cette impression sédative, il ne l’a plus maintenant. Les progrès de la Russie le remplissent d’anxiété. Le moment lui a donc semblé venu de s’adresser au gouvernement de Saint-Pétersbourg et de lui faire connaître ses desiderata.

Ils ont été au nombre de trois. 1° La Russie et le Japon s’engageraient réciproquement à respecter l’indépendance et l’intégrité territoriale de la Chine. — On peut croire, aux lumières du passé, que c’est là une clause de pure forme. — 2° Le Japon reconnaîtrait les intérêts spéciaux de la Russie en Mandchourie et la Russie reconnaîtrait les intérêts spéciaux du Japon en Corée. — Inutile de dire ce que cela