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très roides, où les éboulis alternent avec les mousses molles et spongieuses. Nous rencontrons, çà et là, de grands amas de neige qui ont la dureté de la glace. Nous atteignons, tout en nage, à une heure du matin, un plateau de 360 mètres d’altitude, balayé par un vent glacial, sec, pénétrant, qui fige la sueur sur le corps. La température est de 1°,9. De là nous planons sur une terre de désolation, déserte et nue, d’un caractère dantesque, qui représente l’aspect du globe à l’époque glaciaire, avant que l’homme et la végétation n’y eussent fait leur apparition. Ce paysage est d’une telle grandeur qu’il nous arrache à tous des cris d’admiration. A nos pieds miroite la moire des eaux mortes du fjord, dans son cadre sévère de monts neigeux coiffés de sombres nuages : c’est le lac des Quatre-Cantons, mais sans la verdure qui en fait le charme. Au bout de la baie s’ouvre la Sassen Dal, au fond de laquelle serpente en larges méandres la rivière qui débouche dans le fjord, rappelant le Rhin à son entrée dans le lac de Constance. A une vingtaine de kilomètres de distance brille un vaste glacier, peut-être celui auquel Conway donna le nom de Rabot. A l’opposite, l’œil plonge dans une vallée affreusement sauvage et désolée, qui s’ouvre immédiatement au pied de la montagne, et dont les parois aux assises régulières rappellent les formations du Colorado : au fond de la vallée nous distinguons nos chasseurs à la poursuite des rennes qui doivent y abonder, à en juger par les coups de fusil dont le faible écho parvient jusqu’à nous.


VIII

16 août. — Au moment de quitter la Sassen Bay, un phoque est venu gentiment nous saluer, s’approchant sans méfiance, comme pour faire connaissance avec l’Oihonna et ses passagers. L’un d’eux, le barbare ! a tiré sur la pauvre bête qui, blessée, a fait le plongeon et n’a plus reparu. Nos chasseurs ont fait dans ce pays giboyeux un affreux massacre de rennes. Ah ! le cruel sport ! Je m’apitoie surtout sur un jeune renne, plein de grâce et de gentillesse, même inanimé : le pauvret a encore dans la bouche une touffe de mousse qu’il broutait au moment où il a trouvé la mort. Une foule d’oiseaux bizarres figurent parmi les trophées de chasse, entre autres une espèce de perroquet noir à bec rouge. Les naturalistes ont recueilli des mousses et des roches fossiles.