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qui était le plus âgé de tous les membres de l’expédition, le capitaine Bade avait voulu, bien que protestant, que la fête de la Vierge fût célébrée dans la baie de la Vierge (Virgo Bay). À une heure du matin donc, à la porte de la cabane d’Andrée, le capitaine agitait une clochette, et tous, protestans et catholiques, pénétraient dans la plus grande pièce, où l’on avait transformé en un autel la petite table de travail sur laquelle Andrée rêva si souvent sa chimère du pôle Nord. L’indigente chambrette était trop étroite pour contenir tout le monde. Le vieux doyen officiait, revêtu de ses modestes habits sacerdotaux, sur son pauvre et triste autel, mais le spectacle était plus imposant que la pompe d’une cathédrale. Quand il eut fini, il fit une allocution d’une inspiration touchante, dans laquelle il célébra la grandeur des scènes de la nature arctique et opposa l’impuissance humaine à la toute-puissance divine. Il entonna ensuite un cantique auquel s’unit l’assistance entière. De tous les épisodes de notre croisière, cette première messe au Spitzberg célébrée par un vieux prêtre dans l’humble cabane d’Andrée fut, dans toute sa simplicité, le plus grand et le plus émouvant. Et, quand nous revînmes à bord de l’Oihonna, nous demeurâmes tous, même les plus indifférens, pensifs au souvenir de ce qui venait de se passer sous le 80e degré de latitude.

Cette même nuit, à quatre heures du matin, nous mouillons pendant une heure ; dans la merveilleuse Baie de la Madeleine. C’est le site classique du Spitzberg. Quatre fleuves cristallins y tombent à pic dans la mer, et leurs fronts terminaux se présentent comme de vastes murs de glace d’un bleu admirable, hauts de 20 à 30 mètres. C’est un paysage polaire d’une grandiose ampleur. Nous voudrions bien atterrir, mais par ce mauvais temps notre capitaine a hâte de gagner la Baie des Glaces, et nous devons nous borner à contempler du navire cette baie dont la beauté a ravi tous les navigateurs polaires.

La tempête s’accentue encore quand nous reprenons le large. Le navire tangue et roule de plus en plus. Nous longeons toute la journée, par une mer démontée, la côte farouche de la terre du Prince-Charles. Dans la soirée, nous pénétrons dans les eaux calmes de l’Icefjord, la Baie des Glaces. Après avoir dépassé les deux imposantes colonnes d’Hercule qui en marquent l’entrée, le Faestningen (la Forteresse) et le Dödmanden (l’Homme mort), qui doivent leurs noms à leurs formes étranges, nous entrons