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rivales qui exploitaient ces mers conclurent un traité qui attribuait aux Hollandais la baie de Hollande et l’ile d’Amsterdam, aux Danois l’île des Danois et la Dansk Gatt ou « Chenal des Danois, » aux Hambourgeois la baie de Hambourg. Les Français se contentèrent de deux baies sur la côte septentrionale Les Anglais eurent soin, en vertu des principes économiques qu’ils pratiquaient déjà alors, de se réserver la part du lion, la baie du Roi et la baie des Glaces, qui constituaient les plus vastes et les meilleurs parages de pèche. Ils s’attribuèrent également l’île du Prince-Charles, ainsi nommée en l’honneur du futur roi d’Angleterre qui périt sur l’échafaud.

En dépit de la houle, l’Oihonna reprend la mer après un demi-jour de repos. Le plan du capitaine Bade est d’aller reconnaître la banquise à l’Est, puis de pénétrer dans le Wijdefjord si l’entrée n’en est point bloquée par les glaces, comme il l’appréhende d’ailleurs. Après avoir perdu de vue les puissans glaciers de Smeerenburg, nous passons devant l’îlot de Vogelsang, qu’habitent des milliers d’oiseaux de mer, et nous contournons les Klovenkliffs, énormes rochers qui ressemblent à deux tours de cathédrale gothique. En cet endroit, nous roulons affreusement sur une mer démontée ; mais à peine avons-nous doublé ce cap des tempêtes, qu’un calme relatif se fait : c’est que la côte Nord du Spitzberg nous protège contre les terribles assauts des vents du Sud. Sur cette côte, le paysage a un caractère alpestre de toute beauté : les pics, tout blancs de neige, y ont des formes hardies qui rivalisent avec les plus fiers sommets des Alpes : il y a, entre autres, une montagne qui domine tout le tableau de sa masse imposante, et qui nous rappelle absolument le Weisshorn. Mais c’est un Weisshorn blanc de la tête au pied, la limite des neiges étant ici le niveau de l’Océan.

Bientôt nous apparaît l’éclatante ligne blanche de la Banquise, que l’on n’oublie plus quand on l’a vue une fois : elle se montre à une portée de canon, en sorte que nous naviguons dans une passe à peine large d’une lieue, qui s’allonge entre l’extrémité septentrionale du Spitzberg et l’éternelle barrière de glace. Pendant que nous marchons sous petite vapeur, au milieu des glaces flottantes, le pilote grimpe au mât de misaine et braque sa jumelle dans toutes les directions : juché sur l’échelle de corde, coiffé de son bonnet de fourrure, cet homme à la carrure de géant, à la longue barbe inculte, a l’air de quelque dieu