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cependant sur qui pratiquer certains bandages, — que nous connaissions déjà par les exercices du cours pratique. M*** a choisi alors une infirmière et sur elle nous a fait les plus inutiles démonstrations. La pauvre petite, toute rouge, riait gauchement. La scène s’est prolongée une heure, aux ricanemens joyeux du personnel masculin. Comme je demandais ensuite pourquoi le surveillant de service n’était pas choisi de préférence pour cet emploi de mannequin, quelqu’un d’autorisé m’a répondu avec le plus grand calme : « Il ne pourrait pas, il tremble trop... » Le brave homme est un alcoolique invétéré !


Pâques. — Quelques jours de congé. J’en profite pour fréquenter davantage mon service, où les malades, eux, n’ont pas de vacances, hélas ! — Vraiment, ce stage m’intéresse et c’est là, en réalité, là seulement, qu’est la préparation sérieuse d’une infirmière future. Chaque cas nouveau apporte sa leçon pratique, chaque malade est une expérience acquise, avec ses particularités qui peuvent, si souvent, faire de l’exception une loi. Les soins post-opératoires, d’importance si grave pour le bon succès d’une intervention chirurgicale, varient d’après les individus et leur constitution spéciale. Et rien de cela ne s’enseignera jamais ailleurs qu’au chevet même d’un opéré.

De plus en plus, je constate qu’il est impossible au personnel de répondre aux besoins des malades. La tâche est au-dessus des forces humaines, lorsqu’elles ne se renouvellent à aucune source vive, ainsi qu’il en arrive ici. Rien pour hausser le niveau, rien pour maintenir même, à la hauteur d’une morale ordinaire, ces pauvres êtres sans tutelle. Il est triste de voir combien rapidement, au contact de la salle d’hôpital, une jeune fille, malade ou infirmière, perd la notion de ce qu’elle avait pu emmagasiner de principes par son éducation première. Il est de mise de ne se choquer d’aucune indécence : ce serait ridicule ! Et la puissance du ridicule est plus grande que toutes les autorités.

On parle de neutralité, de respect de la liberté de conscience... Phrases vaines ! Qu’est devenue cette soi-disant neutralité, lorsque, pour remplir les obligations religieuses auxquelles, dans l’intime de sa conscience, elle se sent encore attachée, une fille de service est contrainte de dissimuler ses sorties sous un tout autre prétexte ? Et comment a-t-on bien le courage d’appeler liberté de conscience le système d’après lequel un malade