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ou quatre cents ans, n’ont plus une arête vive ; les porphyres byzantins, les marbres grecs exposés au grand air sont usés et frustes ; ici, toutes ces étranges figures, on dirait qu’elles sortent à peine de la main des sculpteurs. Les archéologues ont discuté, sans tomber d’accord sur la provenance de cette matière très spéciale, qui est d’un grain si fin, et d’une si monotone couleur de souris ; qui ressemble à une sorte de silex, de pierre à fusil d’une nuance très foncée ; les ciseaux devaient s’y émousser comme sur du métal ; de plus, c’était aussi cassant que du jade, car on voit de grands bas-reliefs qui ont éclaté du haut en bas, — sous l’action indéfinie des soleils d’été peut-être, ou bien, dans les temps, sous le heurt des machines de guerre.

Et ces ruines muettes racontent leur histoire par d’innombrables inscriptions, leur histoire et celle du monde ; le moindre bloc voudrait parler, à qui saurait lire les primitives écritures. Il y a d’abord les mystérieux caractères cunéiformes, qui faisaient partie de l’ornementation initiale ; ils alignent partout leurs milliers de petits dessins serrés et précis, sur les socles, sur les frises, entre les moulures parfaites qui leur servent de cadre. Et puis, semées au hasard, il y a les réflexions de tous ceux qui sont venus, au cours des âges, attirés ici par ce grand nom de Persépolis ; de simples notes, ou bien des sentences, des poésies anciennes sur la vanité des choses de ce monde, en grec, en koufique, en syriaque, en persan, en indoustani, ou même en chinois. « Où sont-ils les souverains qui régnèrent dans ces palais jusqu’au jour où la Mort les invita à boire à sa coupe ? Combien de cités furent bâties le malin, qui tombèrent en ruines le soir ? » écrivait là, en arabe, il y a environ trois siècles, un poète passant, qui signait : « Ali, fils de sultan Khaled... » Quelquefois, rien qu’un millésime, avec un nom ; et voici des signatures d’explorateurs français de 1826 et de 1830, — dates qui nous semblent déjà presque lointaines, et qui cependant sont d’hier, en comparaison de celles gravées sur tous ces cartouches de rois...

Le pavage sur lequel on marche est particulièrement exquis ; chaque brisure, chaque joint des pierres est devenu un minuscule jardin de ces toutes petites plantes qu’affectionnent les chèvres, et qui embaument la main lorsqu’on les froisse.

Derrière les salles d’apparat, aux colonnades ouvertes, on arrive à des constructions plus compliquées, plus enchevêtrées, qui couvent plus de mystère ; ce devaient être des chambres, des