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les élèves libres, — sept ou huit. Celles-ci viennent du dehors comme moi. Nous nous groupons autour de la table, nos parapluies ruisselans serrés contre nous. Chacune prépare, qui un cahier, qui une feuille de papier. Les petites en bonnet ne préparent rien, leur premier soin est d’aller signer sur un registre ouvert qui sert de contrôle aux présences. Nous y passons à notre tour.

Deux heures un quart. Le cours commence : « Mesdames, nous parlerons aujourd’hui des différens emplâtres et onguens d’usage courant... » Ici, interruption : — « Mademoiselle, est-ce que je peux m’en aller ? j’ai deux opérées, je n’ai pas le temps de rester au cours. » — Sans attendre la réponse, une petite infirmière sort, suivie de trois ou quatre autres, causant et riant. La surveillante en rappelle une : « Élise, tâchez de venir vendredi. » — Mais la réponse est donnée d’un ton bourru : — « Vendredi, pas moyen, c’est le tour d’Adèle. » — En effet, le même cours est répété deux fois par semaine pour les infirmières, qui pourraient ainsi se relayer de même que les élèves libres. Une troisième séance donne la même leçon aux infirmiers et élèves surveillans.

Le cours se poursuit, intéressant et pratique, bien professé par une femme intelligente. Mlle J... a quitté la carrière de l’enseignement pour entrer à l’hôpital. Exemple assez rare. A présent elle est surveillante de première classe, ainsi qu’en atteste sa coiffe de tulle noir aux rubans de taffetas. Les médicamens désignés nous sont présentés successivement, avec une explication claire, à la portée de toutes, sur leurs propriétés et leur mode d’emploi. Les mots difficiles sont écrits au tableau noir. Manifestement, cet enseignement est bon et doit porter fruit. Mais pourquoi les infirmières ne le suivent-elles pas plus régulièrement ?


13 novembre. — Il est huit heures du soir. Je me hâte vers le guichet vitré contre lequel se pressent déjà mes camarades d’école. Des jeunes filles, chapeaux pimpans qu’on devine sous le faible luminaire ; des infirmières, aisément reconnues à l’obligatoire blouse de toile, mal cachée sous le châle et le manteau ; des femmes, plus mûres, figures lasses et vêtemens fatigués, les unes pourtant, jouant des coudes pour avoir place les premières, les autres, portant en tous leurs gestes cette résignation morne des accablées de la vie. Celles-là, ou je me trompe fort, sont