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dans les temps, des somptuosités sardanapalesques, puis des incendies, des massacres, le déploiement des grandes armées, le tourbillon des grandes batailles.

Quant à l’esplanade où nous venons de monter, elle est un lieu d’adorable mélancolie, à cette heure, à cette approche du soir ; il y souffle un vent suave et léger, il y tombe une lumière à la fois très nette et très douce ; on dirait que les deux mille mètres d’altitude, plus encore sur ces terrasses que dans la plaine alentour, nous sont rendus sensibles par la fraîcheur de l’air, par la pureté et l’éclat discret des rayons, par la transparence des ombres. Entre ces dalles, qui furent couvertes de tapis de pourpre au passage des rois, croissent à présent les très fines graminées, amies des lieux secs et tranquilles, fleurissent le serpolet et la menthe sauvage ; et des chèvres, qui paissent sur l’emplacement des salles de trône, avivent et répandent, en broutant, le parfum des aromates champêtres. — Mais c’est surtout cette lumière, qui ne ressemble pas à la lumière d’ailleurs ; l’éclairage de ce soir est comme un reflet d’apothéose sur tant de vieux bas-reliefs, et d’antiques silhouettes humaines, éternisées là dans les pierres...

Oh ! mon saisissement d’être accueilli, dès l’entrée, par deux de ces mornes géans dont l’aspect, à moi connu de très bonne heure, avait hanté mon enfance : corps de taureau ailé, et tête d’homme à longue barbe frisée, sous une tiare de roi mage ! — Je me complais trop sans doute à revenir sur mes impressions d’enfant ; mais c’est qu’elles ont été les plus mystérieuses, en même temps que les plus vives. — Donc, je les avais rencontrés pour la première fois vers ma douzième année, ces géans gardiens de tous les palais d’Assyrie, et c’était dans les images de certaine partition de Sémiramis, très souvent ouverte en ce temps-là sur mon piano ; tout de suite ils avaient symbolisé à mes yeux la lourde magnificence de Ninive ou de Babylone. Quant à ceux de leurs pareils qui, de nos jours, restaient peut-être encore debout là-bas dans les ruines, je me les représentais entourés de ces fleurettes délicates, particulières au sol pierreux d’un domaine de campagne appelé « la Limoise, » lequel, à la même époque, jouait un grand rôle dans mes rêveries d’exotisme... Et voici précisément que je retrouve aujourd’hui, aux pieds de ceux qui m’accueillent, le thym, la menthe et la marjolaine, toute la petite flore de mes bois, sous ce climat semblable au nôtre.