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l’esprit de se laisser enchaîner par les faits positivement connus est un ferment puissant qui pousse la science toujours plus haut. D’ailleurs, que l’on étudie attentivement les progrès de la science grecque et on s’apercevra bientôt qu’elle n’a pas eu le temps de mûrir, mais que cependant cette maturité s’accentuait peu à peu. Assez rares, en somme, étaient les philosophes de l’ancienne Grèce qui, n’acceptant comme donnée scientifique que ce qui pouvait rentrer dans l’ordre immuable des choses tel qu’ils le concevaient a priori, s’écriaient comme Parménide : « Vous voyez tourner le monde, n’en croyez rien ; je suis sûr, par des raisons logiques, qu’il ne tourne pas. »

En ce qui a trait à la structure intime de la matière pondérable, c’est à Leucippe d’abord, à Démocrite ensuite, que l’on doit l’hypothèse dite atomique. Pour eux, tous les corps sont des agrégats de particules pesantes, impénétrables, tellement petites que nos sens sont impuissans à les saisir, formées d’une même substance, — ce qui implique l’hypothèse d’une matière fondamentale unique, — insécables, — ce qui est le sens littéral du mot atome., — séparées, enfin, les unes des autres par des intervalles, très petits aussi, vides de toute matière pondérable. Repoussant comme imaginaire ou inutile toute intervention d’une divinité quelconque, Leucippe et Démocrite expliquent par la seule action des forces physiques tous les phénomènes de l’Univers, sans exception, idée reproduite depuis par toutes les écoles matérialistes. Pour ces deux philosophes, les atomes sont en nombre infini ; infinie aussi est leur diversité, quant à la forme et au poids. Toujours en mouvement, lancés dans l’espace dans toutes les directions, les atomes se heurtent les uns les autres, et de leurs chocs répétés naissent des tourbillons qui sont le commencement de la formation du monde. Mais le monde n’est pas éternel : il est appelé à périr un jour par suite de la désagrégation des parties constituantes, les atomes, seuls, étant éternels et immuables, incréés et impérissables, — ce qui implique l’hypothèse de la conservation de la matière, un des principes fondamentaux de la physique au XIXe siècle.

Avec Epicure et son disciple Lucrèce, l’hypothèse atomique se modifie dans le sens des idées admises depuis Lavoisier. Ils admettent la diversité des atomes, non seulement au point de vue de la forme et du poids, — car ils peuvent être ronds, carrés, anguleux, crochus, — mais aussi au point de vue de leur