Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la science des mathématiques que les observations des Chaldéens l’astronomie. Comme le fait remarquer Taine, tout ce qui est technique, routine, observations sans portée, n’avait que peu d’intérêt pour les Grecs. Leur génie était curieux, spéculatif ; il voulait savoir le pourquoi, la raison des choses ; il cherchait la preuve abstraite ; il suivait la délicate filière des idées qui conduisent d’un théorème à un autre : c’est la vérité pure qui l’intéressait, et, ce qui le prouve, c’est qu’en géométrie, par exemple, les recherches des géomètres grecs sur les propriétés des sections du cône n’ont trouvé d’emploi que dix-sept siècles plus tard, lorsque Kepler chercha les lois qui régissent le mouvement des planètes. Non seulement on doit aux Grecs la fondation des mathématiques et de l’astronomie, mais, en physique, ils ont établi les bases de l’acoustique, de l’optique, de la mécanique, de la théorie des gaz et des vapeurs. Dans les sciences naturelles, leur génie a laissé aussi une large trace, même en physiologie, car Galien savait distinguer les nerfs sensitifs des nerfs moteurs. Quant à la méthode dont ils se sont inspirés, c’est, au fond, celle qui nous sert encore de guide, car elle est fondée sur V hypothèse et sur ce principe, trop souvent oublié, qu’il n’est pas un phénomène naturel qui n’ait ses lois et ne puisse, dès lors, être étudié avec fruit. Si, en effet, tout ce qui se passe était dû au hasard ou, ce qui revient au même, aux volontés de quelque divinité capricieuse, ne serait-ce pas folie que de vouloir pénétrer par l’étude les secrets de la Nature ? Rien d’étonnant, par suite, que ce soit l’énorme dépôt d’idées philosophiques que nous a laissé la Grèce antique, « ce miracle de l’histoire, » qui nous fournisse encore nos hypothèses les plus fécondes.

De nos jours, où l’expérimentation est la base de toute recherche scientifique, on a reproché aux philosophes grecs, et souvent en termes assez durs, de ne pas y avoir eu suffisamment recours. Remarquons d’abord que c’est en s’appuyant sur l’observation et l’expérience qu’ils ont établi les fondemens des branches de la physique citées plus haut. Et puis, était-il si indispensable, à leur époque, sous le beau ciel de l’Ionie et de l’Attique, de s’enfermer dans des laboratoires de recherches ? Une multitude de phénomènes ne tombaient-ils pas à chaque instant sous leurs sens ? Il est vrai qu’ils ont, parfois, voulu violenter la nature en méconnaissant la réalité des choses. Mais, dit Lange, on doit plutôt leur en être reconnaissant, car, bien souvent, ce refus de