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Chez David, durant toute sa carrière, le souvenir de Rome persista toujours, et dans les toiles de combat que peignit le montagnard de la Convention, et dans le portrait de Bonaparte franchissant les Alpes sur un cheval fougueux se dressant sur le roc où sont inscrits les noms rivaux d’Annibal et de César, et même dans cet admirable tableau du Sacre dont la religieuse grandeur éveille, sous les voûtes de Notre-Dame, le souvenir des solennités de Saint-Pierre.

A la veille de la Révolution, avec laquelle finit, lors du pillage du palais Mancini et du meurtre de Basseville, assassiné dans le Corso par la populace, le 13 janvier 1793, la première période de l’histoire de l’Académie de France, l’influence de Rome était donc plus grande, plus puissante qu’elle ne l’avait été depuis Colbert et avant lui. Dans l’art antique, alors plus honoré, plus imité, plus admiré qu’il ne le fut jamais, l’art moderne pouvait saluer le précurseur auquel il devait sa transformation, sinon sa résurrection, après en avoir reçu la naissance et la vie. Empruntant à Lucrèce, un des poètes qu’il aimait, une invocation célèbre, Louis David, à la pensée de Rome, eût pu répéter en regardant son œuvre :


per te quoniam genus omne animantum
Concipitur, visitque, exortum, lumina solis.


Et s’il nous fallait, en la résumant, caractériser l’évolution qui, dans l’histoire de notre Académie, au cours des cent cinquante années écoulées, sépare Poussin de David, nous serions tenté de dire que, parti des temples et des ruines de Rome pour aboutir aux appartemens et aux jardins de Versailles, l’art français quitta, dès avant des journées de tragique mémoire, les boudoirs de Louis XV, pour retourner se rajeunir et se revivifier dans l’étude des chefs-d’œuvre de la Ville Éternelle.


ALPHONSE BERTRAND.