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Avec l’avènement de Louis XVI prirent fin la surintendance de Marigny et la direction de Natoire. Après un court intérim fait par Noël Halle en qualité de commissaire du Roi, le nouveau surintendant, Charles-Claude de Flahaut de la Billarderie, comte d’Angivilliers, désigna, en septembre 1775, comme directeur de l’Académie de France, Joseph-Marie Vien, qui, vingt-sept ans auparavant, sous le directorat de Troy, en avait été un des élèves les plus distingués. En commençant à rompre avec la manière des Boucher et des Watteau, qui avait son très grand charme, mais qui entraînait la peinture française vers une décadence de plus en plus accentuée ; en revenant à l’étude de la nature ; en restituant au dessin l’importance qu’il ne devrait jamais perdre, Vien, malgré ses hésitations, avait acquis la réputation d’un réformateur. Il la mérita surtout par son principal élève, Louis David, qui, après s’être vu trois fois refuser le premier grand prix de l’Académie, venait enfin de l’obtenir.

L’arrivée de Vien et de David au palais Mancini marqua une date décisive. Lorsque David quitta Rome, après y avoir résidé pendant six ans, s’y livrant à un acharné labeur, la révolution qui allait changer la face du monde politique et social était déjà dans les arts un fait accompli. Si l’éloquence des tribuns de la Constituante et de la Convention fut fille de la Grèce et de Rome, tant ils usèrent, tant ils abusèrent de l’évocation des souvenirs antiques, combien davantage encore cela est-il vrai pour la peinture et la sculpture ! Entre l’ancien régime et le nouveau, la différence, certes, ne fut pas plus profonde qu’entre l’époque des de Troy et des Natoire et l’ère de David et de son école.

Ce fut à Rome, au contact des chefs-d’œuvre de l’Antiquité et de la Renaissance, dans leur contemplation, dans leur admiration fervente, que l’esprit ardent et enthousiaste de David sentit croître en lui, en même temps que le culte de la forme humaine ramenée à ses lignes et à ses proportions vraies, l’énergie d’accomplir la réforme artistique dont il fut le promoteur avec son Bélisaire, ce tableau, romain entre tous, qui rendit éclatante la réputation de son auteur. Ce fut à Rome que David, en 1784, revint composer, sur le vieux sol latin, le Serment des Horaces, qui mit le sceau à sa réputation, à la veille de 1789, dont il salua l’aurore, de cet éclair fameux qui traverse un ciel gros d’orages, dans l’immortelle ébauche d’un autre Serment, celui du Jeu de Paume.