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point, pour le nouveau titulaire, le principal attrait de la Direction générale des bâtimens, qu’il conserva pendant près de trente ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort, en 1736. L’avantage que d’Antin voyait dans cette charge était apparemment la facilité qu’elle lui assurait d’approcher plus souvent le Roi, dont la froideur, voire la disgrâce, avait été pour lui le pire des supplices. Avec quelle amertume rappelle-t-il dans ses Mémoires que « c’est un état trop douloureux de ne jamais plaire à quelqu’un à qui vous êtes uniquement attaché, que vous servez avec dévouement, auprès duquel vous passez votre vie dans un abandon total de vous-même ! »

Seul fils légitime de Mme de Montespan et ne dissimulant point son regret du hasard d’une légitimité qui le privait des honneurs quasi royaux accordés à ses demi-frères, le duc du Maine et le comte de Toulouse, Louis-Antoine Pardailhan de Gondrin, marquis, puis duc d’Antin, n’était pas seulement le parfait courtisan qui a dit de lui-même « qu’il avait cru voir les cieux s’ouvrir, lorsqu’il s’était vu à la Cour. » Dans l’exercice des fonctions qui lui furent confiées, il se révéla un administrateur remarquable : ses actes, comme ses lettres, témoignent de son esprit d’ordre et de régularité, de la sûreté de son goût, de la supériorité de son jugement. Ennemi de l’emphase, il ne dit que ce qu’il faut, d’une plume sobre et prompte, sachant d’un mot rectifier une erreur ou refréner la flatterie, dont il connaît à la fois la puissance et la vanité. S’il se préoccupe, avant tout, de la gloire du Roi, laquelle, dans le langage du temps, équivaut presque toujours au bon renom de la France, il ne cesse de montrer un constant souci du bon emploi des deniers de l’Etat Joignez à cela une sorte de sérénité, imperturbable et superbe, dont, comme Louis XIV, son maître et son modèle, il ne se départit jamais. Dans sa vie, tant publique que privée, d’Antin avait connu des heures pénibles ; mais, quels que fussent les événemens, il les vit toujours « comme dans un tableau, » conservant immuable son attachement « pour les mêmes choses, pour la Cour et pour tous les objets qui l’avaient enivré dans son enfance et dont rien n’avait pu le guérir. »

À cette Cour, dont il avait la passion, les bâtimens du Roi, alors si nombreux et si importans, se rattachaient comme le cadre même du tableau cher à d’Antin. Lorsqu’il prit possession de la charge que s’étaient disputée Colbert et Louvois, la période