Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses lettres, Colbert ne fut pas seulement en nom, il fut en fait le véritable créateur de notre Académie de Rome ; il l’anima de son esprit et, dès l’origine, lui marqua dans l’avenir le but qu’elle eut la gloire d’atteindre.

Ce fut Louvois qui, à la surintendance des Bâtimens, qu’il avait dès longtemps ambitionnée, succéda à Colbert. À Rome, comme ailleurs, il tint à être le maître. À peine nommé, il remplaça Errard par un homme à lui, La Teulière (11 septembre 1683). Errard resta à Rome. Il y mourut six ans après et fut enterré dans le cloître de Saint-Louis-des-Français. Contrairement aux statuts de 1666, La Teulière n’était pas un peintre du Roi : c’était un simple amateur doublé d’un homme de lettres ; aujourd’hui on l’appellerait un critique d’art. Les artistes le voyaient d’un mauvais œil parce qu’il n’était pas un d’eux. Il prit cependant leurs intérêts fort à cœur.

À ce moment, la situation des représentans et des agens français à l’étranger était devenue délicate. Les difficultés qui surgissaient n’étaient plus aplanies par la toute-puissance de Louis XIV. Les ennemis du Grand Roi, si profondément humiliés, reprenaient courage et formaient une redoutable coalition. À Rome, la Déclaration de 1682, relative aux libertés ou aux privilèges de l’Église gallicane, avait fort irrité le Saint-Siège, dès lors assez enclin à faire cause commune avec Guillaume d’Orange et ses alliés. Jusque dans les tableaux qu’on fait copier au Vatican, on cherche, à cette heure-là, des argumens favorables à la suprématie du Roi : « Le Serment de Léon III, lit-on dans un mémoire adressé à Villacerf, en septembre 1691, n’est pas moins important que le Couronnement de Charlemagne, parce qu’il fait voir que les rois de France estaient souverains dans Rome et que ce Pape, estant accusé par les seigneurs et barons romains, fut obligé de se purger par serment public devant Charlemagne, qu’il nomme son souverain Seigneur. On a fait copier tant de tableaux indifférens et même inutiles ; il est donc à souhaiter que l’on copie ces deux-là au plus tôt et que l’on exécute la pensée que Mgr de Louvois en avait conçue, après en avoir connu l’importance. »

De septembre 1683 jusqu’à sa mort, en juillet 1691, Louvois conserva la surintendance des Bâtimens. Si absorbé qu’il fût par l’écrasante besogne que lui imposaient les opérations militaires engagées sur toutes nos frontières, il ne se désintéressa,