Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’exigences que nous sur certains chapitres et sont, sur d’autres, plus faciles à satisfaire.

C’est aux États-Unis que se trouve actuellement l’hôtel-géant, auquel le chef de la riche famille Astor, parti naguère simple colporteur de Waldorf en Hollande, a donné pour enseigne le nom combiné de ce village et de cet aïeul : Waldorf-Astoria.

Cent dix-sept mètres de long, quatre-vingt-trois mètres de haut, depuis le rez-de-chaussée jusqu’aux jardins suspendus des toits en terrasse ; seize étages visibles, plus deux étages souterrains, enfoncés de onze mètres sous la rue jusqu’au rocher ; une architecture de brique rouge, armaturée d’un corset d’acier, plaquée de pierre et de marbre, telle est la carcasse de cette boîte, — de ce « plot » disent les New-Yorkais — où le service de 1 500 chambres privées et de 40 salles publiques, à écrire ou à manger ou à danser, salles de théâtre et de concerts, est fait par 1 470 paires de bras humains, assistés de 3 200 chevaux-vapeur. Le tout a coûté soixante-quinze millions de francs de première mise et coûte chaque matin 25 000 francs à faire marcher. Il est vrai que les jours de grandes recettes montent à 100 000 francs.

Remarquons, en passant, que les maisons de New-York à quinze, dix-huit et vingt et un étages, — les « buildings, » — ont amené les architectes à créer un art nouveau.

Les premières construites furent d’une laideur inouïe : elles ressemblaient à ces tours en dominos qu’élèvent les enfans. Seulement les dominos ici ne variaient pas du double-blanc au double-six ; ils marquaient tous du haut en bas, de long en large, le même point moyen, quelque chose comme un double-quatre, répété à l’infini ; les fenêtres, régulièrement espacées sur la muraille claire, imitant les ronds noirs creusés dans l’ivoire blanc.

On s’attacha peu à peu à rompre ces lignes monotones, en rassemblant et en coupant les étages par séries inégales de deux, trois ou quatre, au moyen d’arcades et d’ogives, d’entablemens et de frontons, de saillies et de retraits simulés par d’habiles artifices. De progrès en progrès, il advient que les derniers buildings charment l’œil, tandis que les premiers l’offensaient très fort. Ce sont les dômes, les flèches, les minarets laïques et industriels d’une ville sans passé, que des siècles d’idéal n’ont point dotée de ces hardis élancemens de pierre, inutilités indispensables