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s’estimassent « cliens » d’un patron, et non point « obligés » d’un bienfaiteur. Il a déguisé son bienfait sous l’apparence d’un placement. Les 5 millions de francs, que représentent ensemble le terrain, la construction et l’ameublement de l’hôtel, produisent un intérêt annuel de 3 pour 100, tous frais payés.

Ces frais d’exploitation se trouvent réduits au minimum par le machinisme, où les Américains sont passés maîtres : 150 employés suffisent à la besogne, depuis 40 garçons de restaurant et 20 femmes de chambre, jusqu’aux électriciens, comptables, ingénieurs, y compris deux surveillans assermentés, investis par l’Etat d’une autorité officielle de police dans l’immeuble, pour y maintenir le bon ordre. Le salaire de ce personnel, nourri et logé, coûte 300 000 fr. par an, la viande et les provisions journalières 420 000 fr., les impôts et la concession d’eau 75 000 francs. Les 48 000 francs dépensés en charbon représentent à la fois la cuisson des alimens, le chauffage des calorifères à vapeur dans tout l’hôtel, son éclairage à l’électricité abondamment fournie et sa ventilation. Ce sont les principaux frais.

Détail à noter : la literie est d’une propreté méticuleuse, les chambres sont lavées du haut en bas presque chaque jour. Leur défaut est d’être un peu exiguës : 2m, 66 de long sur 2 mètres de large. Aussi n’ont-elles d’autre meuble qu’une chaise, une table et une planche disposée pour recevoir la petite malle du locataire. Chacun, pour ses habits et son linge, a la jouissance d’une armoire privée... au sous-sol, et doit aller aux lavatorys pour faire sa toilette, comme s’il voyageait en sleeping-car. Le Mills Hôtel ne prétend pas être un foyer,... si ce n’est pour les gens sans foyer. Il ne se pique pas d’offrir tous les avantages du Waldorf-Astoria ; mais il en offre un, inestimable pour sa clientèle : il coûte 20 sous, au lieu de 20 francs. Il est à souhaiter que l’exemple de M. Mills soit suivi dans notre capitale, où les garnis sont si misérables, où les hôtels de petit prix sont si sales et si laids.


IV

Paris héberge deux sortes d’étrangers : ceux qui ne vivent pas à l’hôtel, et qui, au nombre de 300 000, ont élu domicile chez nous pour y gagner de l’argent ou en dépenser ; parce que l’argent y est pour eux moins dur à gagner ou plus doux à dépenser