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du prix de 60 à 300 francs par jour, composés, les uns de 2 ou 3 pièces, les plus grands de 5 chambres avec salon et salle à manger. Il n’existe là aucun restaurant, aucune salle commune, tout voyageur prenant ses repas chez lui, à son heure, et le personnel étant toujours en nombre pour servir chacun à sa guise, aussi rapidement qu’il le souhaite ; — le roi Edouard VII, quand il dînait à l’hôtel, tenait à ne pas rester à table plus de 35 ou 40 minutes. — Or, un détail montre combien certains progrès sont récens : dans cette maison renommée, pas un appartement n’avait de salle de bains, il y a douze ans ; depuis, il en a été aménagé quarante. Le luxe, bien qu’il remonte à peine à une cinquantaine d’années, avait précédé le confort.

L’idée de fonder à Paris un hôtel « monstre, » — on le trouva tel en 1855, — revient à Napoléon III, qui, dans ses fréquens séjours à Londres, y avait vu des spécimens du genre. L’empereur suggéra le projet à M. Pereire, au moment où les concessions nouvelles de chemins de fer qui allaient rayonner sur la France et l’annonce de la première Exposition universelle assuraient des conditions favorables de début. Le prolongement de la rue de Rivoli fournit un terrain propice pour édifier au « cœur de Paris, » que l’on plaçait alors au Palais-Royal, le vaste Hôtel du Louvre. Disparu aujourd’hui, graduellement rongé, réduit, absorbé enfin par le magasin du même nom, dont j’ai naguère ici conté l’histoire[1], il fit sensation à l’époque et fournit une brillante carrière, sous un directeur ami et compagnon de jeunesse des Pereire, aux temps du saint-simonisme, Emile Pasquier, demeuré leur lieutenant intègre, actif et sûr.

C’était un métier sans précédent que l’administration d’une aussi complexe machine ; il fallait créer une comptabilité embrassant dans tous leurs détails des fournitures et des recettes d’une extrême minutie. L’expérience, ayant bien réussi, fut renouvelée douze ans plus tard (1867) sous la même direction, au sein d’un quartier dont le nouvel Opéra devait être le centre.

En façade sur le boulevard des Capucines, encadré de tous les autres côtés par des rues à peine tracées, le Grand-Hôtel fut construit sur le sol d’un ancien domaine rural, qui avait appartenu durant quatre cents ans (1380-1780) à l’Hôtel-Dieu et avait

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juillet 1894, les Magasins de nouveautés.