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restent en arrière et le linge fait défaut : on en est réduit à en louer le long de la route.

En 1361, le duc de Bretagne paie 1 000 francs de notre monnaie dans un hôtel de Saint-Omer, pour une semaine de séjour avec sa suite composée de vingt personnes. A l’autre bout de l’échelle, le chevaucheur isolé, qui portait les messages de son maître, le « haut-menestrel, » le procureur et son clerc, voyagent plus simplement. Reçus chez l’aubergiste qui « logeait à pied et à cheval, » ils dépensaient journellement en moyenne, pour le dîner, le souper et le gîte de leur personne et de leur monture, une dizaine de francs actuels. Le piéton s’en tirait à moitié prix, mais il n’avançait pas vite.

La comtesse d’Artois ne met que trois jours pour aller de Paris à Arras, en 1319 ; un messager se rend de Montbard (Bourgogne) à Paris en huit jours ; ce sont des allures très rapides. Un architecte met dix jours de Beauvais à Troyes et cinq jours de Troyes à Sens. De Rouen à Grenoble, aller et retour, un « maçon » — sculpteur sur pierre — emploie cinquante-deux jours et un marchand se rend en vingt-trois journées de Montauban à Rome, par Avignon, Embrun, Plaisance et Pise.

« Le royaume de France, disait un guide du XVIe siècle, a 22 journées de large et 19 de long ; » mais cela dépendait de l’état des chemins que l’on devait prendre.

Il y en avait où l’on ne pouvait passer que l’été ; « le plus plaisant et sûr » n’était pas toujours le droit chemin. On lit, de fois à autre, sur les itinéraires de l’époque, cet avis peu rassurant imprimé en italique : entre telle et telle ville « brigandage ; » et, sans cesse, ces indications : « méchant chemin, » « rue fâcheuse, » « passe par les prés, » « impétueuse rivière, » « forêt dangereuse pendant deux, trois ou quatre lieues. » De Paris à Fontainebleau la forêt était alors si peu sûre que l’on prenait presque toujours par Corbeil, quoique ce fût beaucoup plus long.

Le voyageur, au début du règne de Louis XIV, sait que certains passages en France sont infestés de brigands ; qu’il faut éviter de les traverser la nuit. Il en prend philosophiquement son parti ; heureux se juge-t-il, « quand la belle hôtesse n’a pas pratique avec des garnemens » qui, la nuit, dévalisent les voyageurs. Cette insécurité sévissait encore à la fin de la monarchie, puisqu’un arrêt du Conseil de 1771 ordonne l’arrachage sur une