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on veut dire ici moins fréquens, de nos jours qu’autrefois. L’art, en général, et l’art dramatique, en particulier, n’est-il qu’une forme du jeu ? C’est ce que prétendent quelques philosophes ; et on sait que de nombreux journalistes, sans compter la foule des « mondains, » s’accordent volontiers avec eux pour ne voir dans le théâtre qu’un « divertissement. » Mais encore y a-t-il « divertissement » et « divertissement ; » et n’est-il pas permis d’en rêver de plus nobles ou de moins vulgaires que le vaudeville ou l’opérette ? Il convient d’ajouter que, notre expérience à chacun étant toujours très courte, nous avons besoin de la vérifier, de la contrôler, de l’étendre, de la fortifier, de la rectifier au moyen de l’expérience des autres, et peut-être la littérature n’a-t-elle pas de fonction plus haute, ni plus « sociale » surtout, que d’être ainsi, d’un homme aux autres hommes, cette communication de l’expérience. À ce titre, en ce sens, la tragédie, comme genre littéraire, a sa raison d’être ou sa justification dans la réalité du drame de la vie commune ; et il serait assurément regrettable que, pour ne pas troubler la digestion de quelques épicuriens, ou ne pas s’exposer aux railleries de quelques dilettantes, on en vînt à exclure de la représentation de la vie tout ce qui fait qu’elle n’est pas un jeu. Il est bon de rappeler aux hommes « qu’on ne badine pas avec l’amour, » par exemple, ou généralement avec les passions ; et que, si les suites en sont quelquefois comiques, et quelquefois indifférentes ou inoffensives, elles en sont aussi quelquefois honteuses ou sanglantes. Vous en douteriez-vous, à voir les peintures ou plutôt les caricatures qu’on en donne sur nos théâtres ?

Nous sommes très fiers en France de ce que nous appelons la « continuité » de notre production dramatique, et, en effet, depuis deux cent cinquante ans, il semble que nos théâtres n’aient jamais chômé de « pièces « à représenter. Mais ces « pièces, » que valent-elles ? et si je prenais, au hasard, ou à peu près, la liste de celles qui, dans un temps donné, — de 1750 à 1800, par exemple, ou de 1800 à 1850, — ont vu les feux de la rampe, combien en nommerais-je qui survivent, qui se jouent encore sur nos scènes, ou seulement que l’on lise ? Dieu sait pourtant quels applaudissemens accueillirent, en leur nouveauté, quelques-unes d’entre elles ; et la réputation qu’elles valurent à leurs auteurs ; et même la louange que ne leur ménagea pas la critique ! Croirons-nous donc avec Dumas « qu’un homme sans