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Hervieu, de ce quatrième acte, eût pu tirer une pièce entière. Il y a une première pièce dans les trois premiers actes : il y en a une seconde, il pouvait y en avoir une dans le quatrième. La situation de Marianne entre M. Le Breuil et M. de Pogis était, à elle seule, toute une tragédie. Car, au fond, que pense-t-elle d’elle-même, la malheureuse femme ? — et je ne veux pas dire, s’absout-elle ou se condamne-t-elle ? A la question ainsi posée, la réponse est très simple, et nous la connaissons ; — mais comment, par quelles raisons, à elle, s’explique-t-elle sa chute ? qu’y trouve-t-elle quand elle s’examine ? quelle surprise des sens ? quel ressouvenir du passé ? quels sentimens à l’égard de M. de Pogis ? Quelles raisons encore a-t-elle de faire à M. Le Breuil le tragique aveu que l’on sait ? est-ce un effet comme involontaire du dégoût qu’elle éprouve d’elle-même ? ou l’impossibilité de garder pour elle ce douloureux et honteux secret ? ou une manière de se délivrer du remords de sa faute en courant au-devant de l’expiation ? ou une hâte d’élever une infranchissable barrière entre elle et ce second mari ? Mais, si c’est peut-être à la fois tout cela ; si ce l’est même certainement ; si sa conscience est le lieu d’angoisse où tous ces sentimens tumultueux et confus se heurtent et, alternativement, se contrarient ou se confondent, l’analyse de ces sentimens et leur traduction scénique, ne serait-ce pas toute une tragédie, et une tragédie de « caractères ? » Il y aurait renversement des rapports ; la situation ne serait plus qu’un prétexte, une convention initiale nécessaire ; la crise d’âme ferait le principal intérêt de la pièce ; et c’est alors sans doute que, le dénouement du Dédale soulevât-il encore plus de critiques qu’il n’a soulevées, il ne viendrait plus à l’idée de personne de lui reprocher d’être « mélodramatique. » Si l’on peut constituer la « tragédie moderne » ce sera surtout par le moyen de ce « tragique de caractères. » Pour le réaliser, le dramaturge de l’Enigme et du Dédale n’aura qu’à se souvenir du romancier de l’Armature et de Peints par eux-mêmes.

Quant à l’utilité de ressusciter ou de restaurer dans notre littérature contemporaine une forme dramatique abolie, dont on n’aperçoit pas très bien la convenance avec nos mœurs, si quelque sceptique la mettait en doute, on pourrait aisément lui répondre.

Et d’abord, si le théâtre est quelque imitation ou représentation de la vie, les événemens tragiques ne sont pas plus rares,