tragédies de Racine, Andromaque, Bajazet, Athalie, ne seraient donc que des mélodrames ; et quels chefs-d’œuvre, en ce cas, mériteraient le nom de tragédie ? Marie Tudor, peut-être, ou Christine à Fontainebleau ? Mais, à vrai dire, — et quelques exceptions que l’on puisse produire, de la nature de Cinna, par exemple, ou de Bérénice, qui se dénouent plus pacifiquement, — il est de l’essence de la tragédie de finir dans le sang ; et, bien loin que le caractère sanglant du dénouement la dégrade, ou la « disqualifie, » la fasse descendre de ses hauteurs au rang de mélodrame, c’est, au contraire, l’horreur de la catastrophe qui élève parfois le mélodrame à la dignité de la tragédie. Ruy Blas est-il un mélodrame ou une tragédie ?
La « condition » des personnages est-elle plus caractéristique du mélodrame ; et, peut-être, tandis que la tragédie ne se jouerait qu’entre princesses et grandes dames, empereurs, consuls, gouverneurs de province ou généraux d’armée, conquérans ou prophètes, le mélodrame ne se nouerait-il qu’entre « petites gens, » filles de ferme ou porteuses de pain, instituteurs et sous-officiers, étudians en médecine et demoiselles de magasin, professeurs, notaires et magistrats ? Je serais tenté de le croire ! et, de fait, c’est bien ce que croient la plupart de nos critiques. Mais ce n’est encore là pourtant qu’une apparence. Ni les noms de Rhadamiste et de Zénobie, ni ceux d’Orosmane et de Zaïre, ni ceux même du roi de France et de Marguerite de Bourgogne, ne sauraient empêcher les tragédies de Crébillon, celles de Voltaire, la Tour de Nesle, d’être de purs mélodrames, et, inversement, si l’on veut faire figurer les « petites gens » dans la tragédie, ne voyons-nous pas qu’il suffit de les affubler d’un déguisement convenable ? La tragédie classique est pleine de valets de chambre, et de filles suivantes, sous le nom de confidens.
C’est d’ailleurs ici qu’on aurait besoin d’un livre, qui n’existe pas, et que je suis étonné que personne encore n’ait écrit, sur l’emploi de l’histoire au théâtre. Car il y a manifestement plus d’une manière de s’en servir, et, — pour nous contenter d’exemples tout récens, — M. Victorien Sardou, dans la Sorcière, n’en a pas fait le même usage que M, Paul Hervieu dans Théroigne de Méricourt. Mais ce qui est bien certain, c’est que, toutes les fois qu’un auteur dramatique encadre dans un décor historique, ou soir disant tel, l’intrigue à la fois la plus vulgaire et la plus sanglante, ni cette vulgarité ni ce sang répandu ne suffisent plus à en faire