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recueillis et pieux. » Parce que pieux, on se sentait plus allemand ; parce que catholique, on se sentait plus germanique. La première exposition nationale d’art allemand, organisée à Rome, en 1819, par Frédéric Overbeck et ses disciples, étalait en une place d’honneur un tableau de Veit : Le Triomphe de la Religion.

« Le peuple allemand a succombé parce qu’il a oublié son caractère, sa finalité, son histoire, parce qu’il s’est oublié lui-même, il ne peut renaître que si, reconnaissant de nouveau son caractère et sa finalité, il retourne à son histoire et reprend conscience d’être une nation. « Ces lignes sont signées de Gœrres et datées de 1810 ; elles étaient comme un programme, que Gœrres et ses amis réalisaient. C’était en l’année d’Austerlitz que l’Allemagne, avec Brentano pour maître, réapprenait à chanter comme elle l’avait fait au moyen âge ; c’était en l’année d’Iéna, au moment où se fermait la tombe du Saint-Empire, que le romantisme historique et littéraire, réfugié à Heidelberg, s’essayait à rouvrir la tombe du vieux peuple allemand ; c’était enfin parmi les décombres accumulés par les guerres que les inoffensifs Boisserée recueillaient les élémens d’une puissante résurrection. Tandis que le rationalisme protestant, dont Voss était l’interprète, s’acharnait contre ces initiatives, et tandis que « l’esprit artiste de Goethe, » suivant les mots de Henri Heine, « engourdissait la jeunesse et s’opposait à la régénération politique de la patrie, » il semblait que, sous la bannière du christianisme, — et du christianisme catholique, — se préparât à longue échéance une reviviscence de l’âme allemande.

Et si quelque prophète, en 1815, eût prédit qu’un jour une Allemagne unifiée profiterait sans délai de sa grandeur reconquise pour engager une lutte contre l’Eglise romaine, ni les romantiques du pinceau, auxiliaires toujours consciens de l’idée germanique, ni les romantiques de la plume, auxiliaires parfois inconsciens de l’idée catholique, n’eussent rien compris à ce futur caprice de la destinée.


GEORGES GOYAU.